Dossier

Ne pleurons pas pour Skyrock

par Jeff, le 14 avril 2011

Alors comme ça, depuis 48 heures, il y a des airs de mutinerie du coté de la rue Grenetta, siège du tout puissant Skyrock. Il faut dire que les deux grands pontes de la radio "Rap et R&B non stop", Fred Musa et Difool, ont décidé de planter les barricades et d'en appeler à "la liberté d'expression" (sic). L'origine de leur courroux? La placardisation du président, fondateur et maitre-à-penser de la radio numéro 1 des adolescents par les actionnaires au profit de Marc Laufer, un ex-cadre du groupe Next (RMC, BFM...).

Voila les faits bruts. En interprétant un peu, on se demande ce qui a provoqué tout ce remue-ménage. D'abord en haut lieu: on peut penser que les frasques spectaculaires de Bellanger (
condamné pour "corruption de mineure") et les conséquences désastreuses en terme d'image ont terni la réputation d'un homme à la carrière jusqu'ici couronnée de succès. Aussi, on a appris aujourd'hui que le fonds Axa Private Equity, propriétaire de Sky, compte mettre en vente la radio et, dans ce but, il est pertinent de faire un peu le ménage – même si l'on a appris il y a peu que Bellanger ne s'oppose pas à cette opération, ce qui rend cette histoire d'autant plus surréaliste.

Voyons maintenant du coté des salariés: il est légitime que les employés de la radio s'inquiètent d'un changement de gouvernance, surtout qu'on parle de suppressions d'emplois pour rééquilibrer les comptes. Tout le monde a peur pour son job, c'est normal et c'est triste. Pourtant, c'est le dinosaure Difool, animateur le matin, le soir et directeur d'antenne le reste du temps, qui mène la fronde (notamment lors d'une improbable radio libre jusqu'à 00h45 hier soir). L'ex-présentateur de Dance Machine hurle à la censure. C'est vrai que, merde, parler trois heures tous les soirs de foutre et de caca, ça mérite de se battre. Plus cyniquement, il semble évident que les caciques de l'unique radio rap nationale en France craignent pour leur position dominante et, plus simplement, pour la fin de leur bizness.

Passés ces trois paragraphes Morandinesques, on peut maintenant revenir sur la seule chose intéressante dans ce dossier: le hip hop. Affirmons le haut et fort: une fermeture de Skyrock (ou un changement de programmation, c'est pareil, peu importe) serait une formidable touche d'espoir pour le hip hop en France.

Le rap jeu d'ici, nous le connaissons bien, il est aimanté par cette radio. Tout rappeur débutant sait qu'il doit faire sa semaine Planète Rap pour avoir une chance de percer, faisant de Bellanger, Bouneau (directeur général), Musa, Difool et leurs copains d'incroyables décideurs et marchands d'influence. C'est ainsi que, lentement mais surement, le hip hop français s'est docilement adapté au "format Skyrock": paroles hardcores mais pas trop, production ultra-standardisée, street credibility travaillée au quart de poil, conformisme raisonnable...

Skyrock se considère comme la radio du rap mais elle n'a jamais été la radio de tous les raps. Quand j'avais 14 ans et que je n'avais que mon poste pour écouter du son, j'aurais voulu entendre un peu plus de A Tribe Called Quest, de Fabe, d'Oxmo Puccino, de DJ Quik, de Rocé... Au lieu de cela, c'était toujours le même roster avec de rares ajouts. J'en veux à Sky d'avoir considérablement limité mon champ de vision rapologique, je leur en veux d'avoir imposé ses choix cyniques à des générations entières de fans de hip hop.

Depuis hier, Skyrock diffuse des jingles apocalyptiques. On y entend notamment que "sans Skyrock plus de rap, plus de R’n’B". C'est drôle venant d'une radio qui diffusait surtout Lady Gaga, Katy Perry et les Black Eyed Peas ces derniers temps, de véritables vedettes du genre... Ca l'est d'autant plus venant d'un média qui a coupé en 2004 tous micros aux artistes venant faire leurs shows nocturnes, seuls véritables espaces sans aucun contrôle éditorial. Sans raison tangible, la bande à Bouneau a mis fin au Bumrush de Cut Killer, au BOSS de Joey Starr, au Couvre Feu du Secteur Ä, à Total Kheops et on en passe... Et puis, putain, en 2011, plus personne n'a besoin d'une radio pour se forger une culture musicale. Il suffit désormais d'une simple connexion internet et d'une bonne dose de curiosité, rien de plus.

Dans cet article écrit à chaud et dans un état d'esprit extrêmement subjectif, je me dois de rassembler ma pensée en quelques mots: il est honteux que Skyrock se considère comme un gardien du temple hip hop vu qu'il en est un de ses principaux vandales. Son éventuelle disparition serait donc une excellente nouvelle pour le rap français dans son entièreté (en dispersant le carré VIP d'artistes crée par les décideurs de cette radio) et, de toute façon, d'autres façons de découvrir la musique ont pris le relais et seraient facilement adoptés par tous une fois le micro éteint.

Alors voila, personne ne serait dire à l'heure actuelle de quoi sera fait le futur de Skyrock et j'adresse toute ma sympathie aux salariés craignant pour leur job, mais je ne verserais aucune larme si le rideau devait tomber. Bien au contraire.

Soul Brotha