Dossier

Les oubliés de 2023

par la rédaction, le 27 décembre 2023

Jeudi 21 décembre, 2h54 du matin. Les chroniqueurs·euses de Goûte Mes Disques se réveillent en sursaut en pensant à tous ces bangers d’albums qu’ils et elles n’ont jamais eu le temps de chroniquer dans l’année. C’est qu’il y a des disques qu’on attend, qui font l’évidence, dont on parle toute l’année, et dont on reparle au moment des tops de décembre et janvier. Et qu’il y a des disques qui sortent de nulle part ou qu’on attendait beaucoup moins, et qui passent à travers le filtre de l’actualité brûlante. Pour tous ces oubliés, on a heureusement le dossier qui suit, dans lequel on vous présente quinze albums dont on n’aurait pas supporté de ne pas vous parler en 2023.

Et pour ne vraiment rien rater, trois membres de l’équipe sont allés chez JAM pour faire une deuxième dose d’oubliés que vous trouverez à l’écoute ici, et dans laquelle ça parle de punk hardcore, de rap suisse, de vaporwave, mais aussi, évidemment, des Diables Rouges.

Lazuli

Toketa

De retour après un EP qui avait marqué les découvertes R’n’b de 2022, Lazuli fait augmenter la pression et les ambitions dans son premier album. Toketa pousse plus loin encore ce qui fait unanimement la marque de la chanteuse : son exigence. Aucune topline ni aucune rime ne semblent posées là par hasard, de la même manière que l’usage de l’auto-tune est finement dosé. Elle profite également de son partenariat avec le producteur IZEN, présent sur la quasi-totalité des morceaux, et dont le travail ne souffre pas de la comparaison avec les featurings plus célèbres de Lazuli. Petite machine à singles, Toketa sait parfaitement jouer d’un équilibre entre la douceur vocale de l’artiste et la sensualité chaloupée des influences sud-américaines, devenues sa marque de fabrique. Si le succès du grand public n’est pas encore au rendez-vous, il ne manque probablement que quelques grands moments de communication pour que ça explose. Reste à savoir comment Lazuli trouvera sa place entre le monde des radio edit et un public plus niche désormais bien habitué à ce genre de musique. 

Skee Mask

ISS009

C'est sur ISS009 que le DJ Berlinois Skee Mask propose l'oeuvre la plus easy-listening de sa discographie. Cela ne veut pas dire qu'il s'agit d'un fourre-tout mainstream prêt à déambuler dans les plus folles foires à la saucisse, mais plutôt que l'aspect banger des morceaux est plus évident que jamais. Skee Mask rend ici plus son mélange si typique de zigzag entre immobilité et mouvement plus pop que jamais. Aucun breakbeat ne fait exploser son rythme sans être adouci par des sonorités sereines, et aucun passage ambiant ne termine sa course sans être tranché par des basses trépidantes. En première ligne, les jungle breaks, les boom-booms techno, la drum'n'drill'n'bass et le footwork se succèdent pour faire bouger les têtes et frétiller les fessiers, tandis qu'en arrière-plan opèrent des arrangements acides prêts à dézinguer les esprits portés sur les rythmes psychédéliques. En même pas 25 minutes, Skee Mask confirme après son tour de force Pool de 2021 qu'il est l'un des tout meilleurs DJ de club actuels (on va faire comme si Fred Again n'existe pas).

Föllakzoid

V

La mutation de Föllakzoid, qui se résume désormais à la seule personne de Domingae, se poursuit sur le mode de l’épure obsessionnelle. Ce cinquième album rappelle que, comme nous l’ont douloureusement enseigné nos profs de math, moins par moins donne bel et bien plus. De ce répertoire essoré jusqu’à l’os ne demeure qu’un manifeste kraut tellement affamé qu’il lorgne surtout du côté de la techno minimale et de la transe, où les pulsations ont définitivement pris le pas sur la mélodie. Désormais reléguée sur la touche, la guitare avare se contente de ponctuer les beats incessants de quelques gimmicks rythmiques. Mais qu’on ne s’y trompe pas : comme souvent, c’est précisément du banc que se fait la différence sur ces quatre mouvements entêtants qui invitent au déhanchement et aux excès en tous genres.

Kool Keith

Serpent

Dans la musique électronique ou le rock, vieillir est acceptable et intégré au plan de carrière; mais le rap semble beaucoup plus frileux sur le sujet. Passée la cinquantaine, ils ne sont plus très nombreux à sortir de leur pré-retraite pour produire quelque chose de significatif - on peut citer Nas ou Black Thought, mais on a moins envie de citer Eminem. Une fois franchi le cap de la soixantaine, c’est carrément une morne plaine qui s’offre à nous, et sur laquelle on ne voit guère avancer que la silhouette de Kool Keith, tout juste soixante ans. Légende d’un « autre rap » (défricheur avec les Ultramagnetic MC’s puis son personnage de Dr. Octagon), Kool Keith a traversé les années 2010 et 2020 dans une discrétion imputable à des albums rigoureusement dispensables. Jusqu’à ce qu’il croise la route d’Adam Weissman, ancien directeur artistique chez Stüssy, fondateur de la marque Real Bad Man, qui est également son alias quand il s’aventure sur les terrains de la production. Ses boucles, souvent capiteuses et désarçonnantes, on a déjà eu l’occasion d’en vérifier la qualité sur des titres pour Boldy James ou Pink Siifu. Mais à l’écoute de cet album qu’il produit intégralement, on se dit que tout ce qui a précédé n’était qu’une tactique visant à attirer dans ses filets Kool Keith, rappeur dont le flow à la fausse décontraction et aux vraies fulgurances retrouve ici une seconde jeunesse. C’est peut-être son dernier grand disque, alors profitez-en.

Nuovo Testamento

Love Lines

Les premiers résultats Google au sujet de Nuovo Testamento renvoient pour la plupart vers des sites spécialisés dans la synthwave ou le post-punk. Deux genres musicaux qui sont également privilégiés par les plateformes de streaming au moment de suggérer des découvertes au terme de l’écoute de ce Love Lines. Si cela peut s’expliquer par le fait que les membres de ce groupe appartiennent à des formations portant ces étiquettes (Sheer Mag, Tørsö, Terremoto), ces connexions nous orientent plutôt vers de mauvaises pistes. Car comme son nom l’indique, c’est vers l’Italie que nous réoriente Nuovo Testamento, à travers un hommage complètement assumé à cette italo-disco hédoniste qui a déferlé sur l’Europe dans les années 80. Pour préparer ce second album, le trio italo-américain a visiblement procédé à une étude minutieuse de l’engrenage infernal qui préside à la naissance des plus grands tubes de l’italo, dont il reproduit à la perfection la mécanique tubesque - en fait, dès les premières notes de « Wildlife », on pense à la Madone vantant les mérités des congés payés tandis que sur nos rétines se collent des images de Sabrina Salerno se débattant avec un maillot de bain un peu trop petit dans le clip de « Boys ». Probablement parce que le genre italo est une tel moulin à clichés qu’en détourner intelligemment les codes en devient une entreprise périlleuse, Nuovo Testamento préfère jouer à fond la carte du copier / coller, jusqu’à cet artwork dont on a vraiment du mal à croire qu’il ait été capté en 2023. Est-ce que c’était mieux avant? Bien sûr que non, mais à l’écoute des meilleurs moments de Love Lines (« Heat », « In My Dreams »), on serait presque tentés de changer d’avis.

Klub des Loosers

Baltimore

«Pas de signe distinctif à part ma grande cannette de bière. Cheveux gris, regard triste " coucou" c'est moi le mec derrière » (« Super »). Voilà déjà 20 ans que Vive la vie, le premier album du Klub des Loosers est sorti. Et un peu comme tout le monde, Fuzati a vieilli : depuis ses débuts très terre à terre où on le découvrait en ado autocentré, suicidaire et frustré par ses amours solitaires, il est progressivement passé avec les années à une posture d'observateur plus détaché et aérien, à celle d’un héraut perpétuellement en apesanteur tel le Silver Surfer et qui semble adresser directement ses paraboles à son auditeur (" Touriste dans ma vie. Tout triste sans magie" sur « Méridiens »). Si son phrasé singulier et ses productions spé ont parfois dérouté, c’est avec l’aide des productions enveloppantes et vaporeuses du Motel qu’il a cette fois décidé de travailler, et on peut dire qu’il a bien fait tant l’assemblage est fluide comme l’écoulement du temps au sein d’un sablier.  Et même si Fuzati prendre de l’âge, il reste fidèle à ses marottes, comme en écho à certains de ses anciens morceaux (« L'amour c'est le message mais le messager veut te baiser » sur « Lumières », qui rappelle son personnage du livreur d’amour sur « Ne plus y croire »). Les références à l’ennui, au monde du travail, à l’enfer urbain, à la vanité de l’existence humaine, à l’amour à sens unique et à l’alcool pour panser les plaies y sont légion, avec un sens de la formule intact et comme d’habitude saupoudré ici et là d’une petite touche d’humour («Au début on cherche du sens et puis on cherche place de parking » sur « Galaxies »). Toutefois le rapport au temps qui passe est beaucoup plus présent que d’habitude, avec un fatalisme qui échappe cette fois à toute forme de rébellion juvénile : 20 ans après la tentative de suicide qui clôturait Vive la Vie, Fuzati conclut Baltimore avec la récit d’une personne probablement âgée qui décède dans le plus grand anonymat au sein de son living.

The Armed

Perfect Saviors

Il y a un peu plus de deux ans, nous vous poussions dans les bras musclés d’Ultrapop, troisième sortie du collectif de Detroit et objet non-identifié prêt à vous larguer dans un blender électro, pop, hardcore, metal and everything in between. Le mystère entretenu autour de l’identité de ses membres, permanents ou de passage, ainsi que leurs lives dantesques ajoutaient une couche supplémentaire à notre enthousiasme. Au courant de l’été 2023, le groupe s’est décidé à tomber le masque afin de servir au mieux les intérêts de leur Perfect Saviors. Nos silhouettes nourries à la poudre protéinée dévoilent alors les visages derrière ce chaos maîtrisé avec Tony Wolski à la pointe du triangle, Cara Drolshagen en hurleuse professionnelle ou Urian Hackney en gardien des fûts. Les ambitions sont assez claires : Perfect Saviors est conçu comme un blockbuster qui n’envisage pas l’échec. Pour faire briller la calandre, les gars ont ainsi contacté tout leur répertoire, de Troy Van Leeuwen (QOTSA - déjà en guitariste invité sur Ultrapop et ici co-producteur) à Mark Guiliana (ex-batteur de Bowie), de Justin Meldal-Johnsen (Beck, NIN) à Julien Baker. Plus accessible que ces prédécesseurs sans pour autant prendre son public pour des imbéciles, Perfect Saviors est un album roublard qui sait appuyer sur nos faiblesses pop et nos envies de gros refrains entre deux tamponnades. On y perd en partie l’excitation de se faire broyer à tout moment mais quand les morceaux étalent leur carrure, cela devient compliqué de faire la fine bouche (on pense entre autres aux deux impeccables singles « Sport of Form » et « Everything’s Glitter » qui mettront à peu près tout le monde d’accord).

Sourdurent

Les Herbes Se Détournent

Ernest Bergez est le chantre d’un courant tout particulier, dont la mission auto-assignée est d’avertir le monde de l’actualité des musiques occitanes. D’abord en solo avec Sourdure depuis 2015, le voilà au coeur d’un projet d’expansion plus que logique avec Sourdurent. Comprenant désormais également Jacques Puech, Elisa Trébouville et Loup Uberto, le projet se conjugue dans un pluriel retranscrivant fidèlement l’esprit collectif qui ressort de Les Herbes se détournent. Dans une formule toute acoustique, les instruments et motifs auvergnats se trouvent éclatés dans la lumière des influences afghanes, syriennes, mais aussi l’expérimentation propre aux musiques populaires de la moitié sud de la France. Musique métamorphe, elle n’est dans l’album ni figée dans son passé, ni détournée de sa nature. Comme dans « La Dumenchada », les différents instruments suivent des chemins dansés et libérés explorant parfaitement la liberté d’une musique qu’on écrit moins et qu’on ressent plus.

Headache

The Head Hurts But The Heart Knows The Truth

Au cœur du mois de novembre s'est livré au sein de la Silicon Valley un combat feutré entre les « doomers » et les « accelerationistes » pour la prise de contrôle d'OpenAI. Après quelques pirouettes, Sam Altman a pu retrouver son trône et reprendre la marche en avant pour pousser l'IA toujours plus loin. Pour le meilleur ou pour le pire. Côté musique, si les premiers albums générés par des IA ont fait leurs apparitions, l'usage de ce nouvel outil s'est surtout cantonné a faire chanter Scooby-doo avec la voix de Kaaris ou Lacrim reprenant « balance ton quoi ». La création avec un grand C. A l'exact opposé de ces mongoleries sus-nommées, Vegyn sous l'alias d'Headache vient de sortir un album à la beauté troublante, avec l'aide d'une de ces foutues IA... On ne sait pas ce qu'il y a de plus déroutant entre les lyrics étranges écrites par Francis Hornsby Clark ou la « vraisemblance » du spoken word de cette IA aux faux airs de Mike Skinner. L'ensemble est nimbé par les productions clair-obscur downtempo/trip-hop de Joseph Winger Thornalley, celui-ci a officié auprès de quidams comme Frank Ocean, Travis Scott ou JPEGMAFIA. The Head Hurts But The Heart Knows The Truth marche sur une ligne de crête entre tragédie et joie, amour et dépression et on vous assure que cette voix de machine deviendra surement pour vous une obsession comme il l'est devenu pour nous autres, pauvres humains.

Earth

Earth 2.23 Special Lower Frequency Mix

Objet de culte absolu, l’album Earth 2 : Special Low Frequency Version sorti en 1992 sur Sub Pop a sévèrement fracassé les codes du metal et des musiques lourdes en général, malgré un succès relativement confidentiel à l’époque. En pleine avalanche grunge, le duo originaire de Seattle (qui comptait d’ailleurs un certain Kurt C. sur sa première démo) inventait ce qui deviendrait plus tard le drone metal sur un album qu’on peut résumer comme tel : 3 morceaux et 73 minutes de riffs de mammouth matraqués sur des amplis qui saturent de partout. Ce genre de musique tellement lourde qu’elle ne nécessite même pas de batterie… 30 ans plus tard, Sub Pop a l’excellente idée de confier ce parpaing à d’autres maîtres des fréquences sismiques. Au casting, que du beau linge : Kevin Martin (The Bug), Justin K. Broadrick (Godflesh), Robert Hampson (Loop) et Brett Netson (Built To Spill). Le résultat se subit comme une purge salvatrice, une salade detox faite d’infrabasses sauce dub, indus et noise. Kevin Martin a même convié Flowdan, son MC fétiche à cette grande fiesta de la surcharge pondérale. Et comme par hasard, quelques semaines après la sortie de cet album de remixes de Earth, la surface terrestre commence à se déchiqueter en Islande.

Crimeapple & Clovis

Cacio e Pepe

Proche de DJ Muggs qui a lui a déjà produit deux albums, CRIMEAPPLE fait partie de ces rappeurs qui ont sacrifié leur popularité sur l’autel de l’hyper-productivité. Rien qu’en 2023, le gava du New Jersey aux racines colombiennes (et ça s’entend) a gratifié sa fan base de cinq projets, courts pour la plupart. Et s’il fallait n’en garder qu’un, ce serait Cacio & Pepe, sur lequel il est rejoint par un improbable compagnon de route en la personne de Clovis Ochin, star des cavistes et caviste des stars (il est comme cul et chemise avec Action Bronson ou Dua Lipa), qui fait du rap à ses heures perdues - son premier album a été produit par Camouflage Monk, un habitué des studios de Griselda. Ensemble, les deux ont passé quelques jours dans un studio romain pour enregistrer un album pensé pour plaire à tous les fans de boom bap et de bombance. Et le charisme froid de CRIMEAPPLE font souvent des merveilles, d’aucuns aimeraient tomber à bras raccourcis sur Clovis Ochin, en qui ils voient un hipster à la street cred aussi inexistante que les sulfites dans son vin nat’. Alors certes, le Parisien ne score pas bien au sur l’échelle d’AKH, mais il compense ses punchlines parfois pauvres et ce flow pas toujours au point par une sincérité, une désinvolture et une confiance en ses capacités qui rende son personnage crédible et attachant, d’autant plus que sa complicité avec CRIMEAPPLE fonctionne aussi bien que cet assemblage de pourpre et or sur le maillot de la Roma.

Jeff Rosenstock

HELLMODE

A l’échelle de notre rédaction, et plus généralement à l’échelle de la presse culturelle francophone, Jeff Rosenstock n’est pas un oublié de 2023. C’est un oublié tout court. Pourtant, de l’autre côté de la grande mare, le musicien new-yorkais régale les amateurs de musique à guitares depuis une trentaine d’années : d’abord avec les Arrogant Sons of Bitches et Bomb the Music Industry!, et depuis une dizaine d’année à travers une carrière en solo remarquable, qui est l’occasion pour lui de balancer des albums avec une régularité qui n’a d’égal que la qualité de ceux-ci. Et que vous commenciez par Worry., POST- ou ce HELLMODE, vous ne serez jamais perdu si, comme lui, vous avez fait votre écolage au son de Weezer, Green Day ou Neutral Milk Hotel. Bien sûr, les artistes qui se revendiquent de ces trois influences sont plus nombreux que les fans de Manu Chao dans une ZAD, mais peu le font avec une énergie aussi communicative et un talent aussi évident que Jeff Rosenstock. Et peu importe si ce nouvel album est le premier qui a été enregistré dans un « vrai » studio en la présence de Jack Shirley (producteur historique de Deafheaven), plus de moyens ne signifie pas moins de plaisir - pour lui comme pour nous. Et si c’était lui le secret le mieux gardé de l’indie américain ? Pourtant, avec des titres comme « LIKE U BETTER » ou « DOUBT », on peine toujours à expliquer son inexistence dans nos quotidiens d’Européens gâtés.

DJ Muggs

Soul Assassins vol.3

The Alchemist n’est pas vraiment un inconnu. Mais on a le sentiment que depuis une paire d’années, le producteur californien bénéficie enfin d’une exposition et d’une reconnaissance conformes à sa contribution - colossale - au panthéon du hip hop US; et ce ne sont pas ses albums pour Larry June ou Earl Sweatshirt en 2023 qui nous permettront d’affirmer le contraire. On souhaite désormais qu’un autre grand beatmaker de sa génération ait lui aussi droit aux honneurs dus à son rang. Ce producteur, c’est DJ Muggs; lui qui dans les années 90 et 2000 s’est fait un nom et une signature sonore au sein de Cypress Hill, avant de rapidement s’épanouir dans des projets collaboratifs (comment oublier son Chessmasters avec le GZA), ou à travers des compilations de son collectif Soul Assassins, dont la dernière en date est sortie en plein mois d’août. Pourtant, ce n’est pas faute de convier une belle brochette de rappeurs incarnant la longévité et la crédibilité de Muggs dans le double H; et qu’il s’agisse de la vielle garde (CeeLo Green, Skick Rick, Scarface) comme de la nouvelle école (Boldy James, Westside Gunn, CRIMEAPPLE) personne ici ne donne dans la rime pauvre ou la demi-mesure. Cela tient en grande partie à la qualité exceptionnelle des productions façonnées par un DJ Muggs qui semble décidément éternel. Toujours empreintes de ce psychédélisme sombre, poisseux parfois, elles sont pensées pour amener ceux qui s’y frottent vers des territoires où l’introspection côtoie la paranoïa, où le bad trip pourrait à tout moment venir perturber l’état de grâce cotonneuse dans laquelle nous plongent à peu près toutes les pistes d’un album qui mérite bien plus que votre indifférence polie.

The Waeve

The Waeve

Avant de signer le grand retour de Blur, Graham Coxon s’est permis de convier la chanteuse britannique Rose Elinor Dougall (The Pipettes) pour un énième side project qui s’inspire largement du kraut rock de Can. Le duo fonctionne à merveille, malgré une tendance à parfois pomper un peu trop du côté du Velvet Underground & Nico ou de Nancy Sinatra donnant la réplique à Lee Hazlewood. Sans révolutionner les codes du genre, l’album se révèle d’excellente facture, avec notamment un single « Can I Call You » absolument irrésistible. Un disque parfaitement oubliable, mais sur lequel on reviendra dans quelques années en saluant les épisodes de bravoure.

Maruja

Knocknarea

On commence à en avoir entendu, des jeunes groupes anglais de post-punk. Et cela n'est pas un hasard que la scène continue de cracher des formations par dizaine quand on se penche sur la qualité des meilleures d'entre elles. La dernière en date est Maruja. De toutes ces juvéniles formations, elle est celle qui utilise le saxophone non pas comme un accessoire servant à les différencier de n'importe quel autre groupe aimant un peu trop Wire, mais comme véritable force motrice de leur proposition musicale. Ce saxophone propulse littéralement "Blind Spot" avec une folie qui mélange atmosphère post-rock, angularité post-hardcore, et une frénésie appelant les plus John Zornesque, sans pour autant perdre de cette cohérence qui arrive à marier l'élégance du jazz avec la virulence du punk. On sait qu'on s'excite beaucoup sur cette scène anglaise, mais elle nous prouve une fois de plus pourquoi on ne peut s'empêcher d'y revenir.