Dossier

In Dust We Trust #14

par la rédaction, le 7 décembre 2020

À la fois aubaine et business, l’exercice de la réédition du classique (avéré ou qui s’ignore) et de l’excavation de vieilleries disparues du circuit implique chez l’auditeur un peu curieux une occupation assez conséquente du temps de cerveau disponible. Histoire de vous aider à y voir un peu plus clair dans cette jungle, GMD a lancé In Dust We Trust, sélection vaguement trimestrielle de ce qui a capté notre attention.

Ryuichi Sakamoto

Hidari Ude No Yume

Si le Yellow Magic Orchestra restera à tout jamais cet OVNI trop méconnu dans nos contrées, on voit chez des labels comme Light In The Attic un véritable appétit pour la valorisation de cette œuvre magistrale, et une volonté de redonner vie à une discographie tellement vaste. Chez les Parisiens de WEWANTSOUNDS, outre les premiers disques solo de Ryuichi Sakamoto et Yukihiro Takahashi, on a vu apparaître au tableau de chasse des disques d'Akiko Yano (sorte de Kate Bush du Soleil-levant dont on parlait ici) ou d'Hiroshi Sato sur lesquels le YMO a apporté, à des degrés divers, sa midas touch.

On ne s'étonne donc pas trop de voir le troisième album solo de Ryuichi Sakamoto rejoindre le catalogue d'une structure pas avare en trésors à redécouvrir. Hidari Ude No Yume, sorti en 1981, c'est d'abord ce visuel qui rappelle forcément le Aladdin Sane de David Bowie, avec qui l'intéressé tournera Furyo deux ans plus tard. C'est aussi l'année qui verra la publication de l'excellent Tin Drum de Japan, qui se séparera après ce disque tandis que son frontman David Sylvian deviendra un collaborateur régulier du Japonais ("Bamboo Houses" <3). Ce sont de petits détails mais qui, placés sur une ligne du temps, donnent une idée plus précise de la couleur du disque : loin de ses travaux instrumentaux, Sakamoto donne ici de la voix et épouse un virage art pop ambitieux, digérant les apports synthétiques de la new wave pour lui offrir une perspective plus rythmique et expérimentale.

Si le disque ne renonce pas au côté savant fou de Sakamoto, donnant par moments l'impression de tâtonner, ce n'est que pour mieux exploser ensuite comme sur ce "Relâché" à la ligne de basse entêtante ou sur "Venezia", formidable tube de poche qui justifie à lui seul l'écoute. Reconnaissons-le : tout n'est pas parfait sur Hidari Ude No Yume, mais il a su garder un certain charme bricolé et surtout, il n'a pas pris une ride. On est même d'avis qu'il que les réécoutes successives lui confèrent un parfum et une couleur tout à fait particuliers. (Aurélien)

Jo Bisso

African Disco Experimentals (1974-1978)

Quand on dit que la musique états-unienne ne peut pas se penser sans l’Afrique, on pense évidemment à la musique que les esclaves ont importée et qui sera à l’origine du blues, et donc de la quasi-totalité des musiques que l’on écoute aujourd’hui. Mais ce à quoi on a moins accès, c’est aux continuités du lien qui ont eu lieu après cette période. Dans les années 1970 notamment, si l’Afrique est le thème esthétique et littéraire de tout un pan du jazz et du disco, la connexion afro-américaine ne s’arrête pas là. De nombreux artistes africains lorgnent sur le continent américain, comme une source d’inspiration bien évidemment, mais aussi comme une potentielle terre d’accueil. C’est notamment le cas de Jo Bisso, artiste camerounais qui a fait le voyage jusqu’à New York pour vivre lui-même l’émergence du disco et y participer.

Partisan d’une musique festive, inspirée de la rumba congolaise et du ye-ye français, il va découvrir aux débuts des années 1970 ces musiques afro-américaines qui avaient tout pour s’intégrer à ses créations. Une fois à New York en 1972, il vit la culture naissante des clubs underground et va être admis à Berkeley School of Music de Boston, où il pourra créer les morceaux rassemblés dans cette compilation d’Africa Seven Records, qu’on aurait difficilement pu mieux nommer. Contrairement aux artistes américains, on sent chez Jo Bisso un travail percussif pour lequel la musique africaine n’est pas une vague inspiration mais le socle. Rajoutez à cela les orgues et cuivres typiques du disco états-unien et on obtient un cocktail dont on reconnaît tous les ingrédients mais clairement pas la recette. Mieux encore, on sent que le type qui tient le shaker est là pour tenter des choses, expérimenter la répétition, la chanson ou la dissonance dans un disco qui, une fois sorti des clubs, n’a pas nécessairement vocation à y rester - mention spéciale au très gainsbourgien « Tonight ». (Emile)

Various Artists

Deutsche Elektronische Muzik 4

Sur la dernière compilation Deusche Elektronische Muzik en date, parue en 2017, c’était écrit en grand : « That’s all folks ». Autrement dit, après trois volumes, l’une des séries les plus populaires du label londonien Soul Jazz mettait la clé sous la porte. Mais il faut croire que le désir de continuer à explorer un domaine aussi vaste que les expérimentations de toute une scène sur une période couvrant quand même une petite quinzaine d’années était trop fort.

L’ambition reste donc la même : raconter en musique comment, de Hambourg à Berlin en passant par Stuttgart ou Bielefeld, tout un mouvement s’est structuré en opposition au « schlager » (cette variétoche produite à la chaîne et au son de laquelle on boit la bière au litre) et à toutes les formes traditionnelles de pop et de rock anglo-saxons. Mais l’objectif des compilations Deutsche Elektronische Musik, un nom finalement aussi aguicheur que trompeur, c’est aussi démontrer que derrière cette mouvance qu’on ne peut ici réduire aux seules appellations kraut ou kosmische muzik, il se cache autre chose que Neu !, Can ou Popol Vuh.

Les trois premiers volumes de la série recelaient de vrais trésors, et quelques beaux classiques aussi. La question qui se pose donc est de savoir si c’est celle-ci est au moins aussi bonne que les précédentes. Et en réalité, c’est assez difficile à dire, tant ce quatrième volume semble tantôt se balader ailleurs, tantôt explorer des mouvements et des sous-courants moins abordés jusqu’alors, à l’image de l’acid folk glauque de Witthüser & Westrupp ou des incantations mystiques d'Alex Wiska. Quoi qu’il en soit, l’expérience est une fois de plus totale, immersive, et stimulante. Et rien que pour ça, Deutsche Elektronische Musik 4 est digne de vos deniers. (Jeff)

Bushpilot

23

On ne remerciera jamais assez ces têtes chercheuses de labels qui parviennent encore à creuser un sillon déjà bien profond pour le bonheur des maniaques de tous bords. Ce coup-ci, c’est grâce à la maison anglaise Unknown God Records que l’on ajoute Bushpilot à notre album Panini de groupes post-rock-noise du début des années 90. Typiquement, on tient là le genre de groupe qui aurait fini dans notre pile de CD loués en masse à la médiathèque avant d’atterrir sur une cassette aux côtés d’autres groupes tout aussi obscurs signés sur Thrill Jockey, Dischord ou Touch and Go.

Actif entre 1993 et 1996, Bushpilot n’était pas basé à Chicago ou à New-York mais à Leeds, ville que l’on imagine plutôt branchée Britpop ou sous influence grunge à l’époque. Le groupe ne joue alors qu’une poignée de concerts à domicile et a son quart d’heure de gloire quand le grand John Peel diffuse leur unique 45 tours, Canine, en 1994. Avant de splitter, le groupe a tout de même le temps d’enregistrer deux albums qui ne verront jamais le jour avant cette année. Pour l’anecdote, quand le chanteur Ross Holloway fait passer une démo au NME en la pitchant comme la rencontre entre Can et The Jesus Lizard, on lui rétorque que plus personne ne risque de vouloir se farcir un groupe se réclamant de la bande à Holger Czukay. Il aura fallu donc attendre que la grande roue des tendances ne tourne jusqu’à la réédition du percutant Already ! et de ce 23 qui nous occupe pour vérifier le bien-fondé de cette auto-analyse plutôt lucide.

Si l’influence du krautrock est indéniable – ce goût pour la répétition et un minimalisme certain – on pense d’emblée à Slint ou à un Fugazi tardif qui auraient digéré le Spirit Of Eden de Talk Talk et l’art-rock aux relents free de This Heat. Mention spéciale aux 20 minutes de « 23 » en clôture, condensé du savoir-faire de cette Madeleine de Proust miraculée. Comble de la lose qui leur colle aux basques, le groupe galvanisé par ce soubresaut d’intérêt avait décidé de remonter sur scène en 2020. Pour le biopic, on leur conseille de transmettre le scénario à Stephen Frears ou à Ken Loach. (Éric)

Mort Garson

Music From Patch Cord Productions / Didn't You Hear

Quand on parle de Mort Garson, difficile de ne pas évoquer Mother Earth's Plantasia. Sorti en 1976, cet album jettait les bases de la musique ambient et reste à ce jour une référence (certes un peu improbable) du genre. Longtemps resté inconnu du grand public, cet album tiré en très peu d’exemplaires est initialement destiné aux clients de Mother Earth Plant de Los Angeles et s’inscrit dans un marché de niche vendant les bienfaits de la musique sur les plantes. Cette économie dominée par les synthétiseurs va permettre à Mort Garson de populariser l’utilisation du Moog, sorti quelques années plus tôt et dont il fut l’un des premiers acquéreurs.

Suite à la mort de son père et à l’engouement suscité par son travail, le fiston Day Darmet accepte de collaborer avec Sacred Bones Records dans le but de rééditer les œuvres de son défunt paternel. En 2019, le label new-yorkais réédite donc pour la première fois le désormais mythique Plantasia pour le plus grand plaisir des amoureux des Rhodes-odendrons (vous l’avez ?). Vu le succès rencontré, le label new-yorkais décide d'en remettre une couche et de se lancer dans la réédition de trois autres albums et d’une compilation retraçant la riche carrière du producteur canadien. Au menu : Didn’t You Hear ?, la bande-son éponyme du film de Skip Sherwood et Music From Patch Cord Productions, compilation des archives du producteur couvrant une période allant de 1960 à 1970. Les deux autres albums, sortis plus tôt dans l’année, reviennent sur les expérimentations de Garson, sous ses alias Lucifer et Ataraxia, et ses penchants méconnus pour les ambiances lugubres et les phénomènes surnaturels.

On retrouve dans ces quatre projets la même science de la mélodie et cet amour invétéré pour les nappes de synthétiseurs enivrantes. Des rééditions plus que jamais à la hauteur du talent du producteur, et qui témoignent surtout de la richesse de sa carrière. Autant de vous le dire tout de suite, si tous les disques durs des producteurs.rices décédé.es étaient d’aussi bonne facture que ceux de Garson, on aurait arrêté de traiter de l’actualité musicale depuis bien longtemps. (Noé)

Various Artists

Wamono A to Z Vol.1 : Japanese Jazz, Funk & Rare Groove (1968-1980)

Si vous cherchiez un disque qui coche toutes les cases de la bonne réédition de 2020, ne cherchez plus, on a retrouvé la pierre de Rosette cachée dans une paire de Veja. Déjà rien que l’évocation de cette collection de « Japanese Jazz Funk & Rare Groove 1968-1980 » met des étoiles dans les yeux de tous les buveurs d’IPA qui ne postent que ces clichés argentiques sur Insta et écoutent JuL, mais ironiquement. Un premier volume composé de 10 titres évidemment introuvables mais que vous n’auriez de toute façon jamais trouvé même si vous aviez fait une pause carrière de 6 mois. Ajoutez à cela un bel artwork japonisant qui fait envie, et un disque bien épais – 180 grammes sinon rien, tu vois – et vous tenez là un très puissant condensé de hype. Mais pas que, heureusement. Car si la démarche a de quoi énerver les « puristes », il faut bien reconnaître que le travail effectué par DJ Yoshizawa Dynamite.jp et Chintham (deux inconnus au bataillon, probablement une version tokyoïte de Gilles Peterson et Lefto) est assez phénoménal – pour la petite histoire il prend sa source dans le livre Wamono A to Z qui donne son nom à la série, et qui explorait les moindres recoins de la scène groove nipponne. Pour un prix somme toute très démocratique (surtout au regard des tarifs pratiqués sur Discogs pour les originaux) on se retrouve avec 10 titres extrêmement solides, et qui ont fait l’objet d’un mastering qui donne à l’ensemble cette couleur très chaude que l’on attend en posant le LP sur notre Rega RP1 ou notre Pro-Ject T1 – ne faites pas semblant, vous avez tous ça chez vous. On se moque mais en réalité, allez-y les yeux fermés, c’est de la première qualité. (Jeff)

RZA

Ghost Dog OST

Lorsqu'il s'agit de parler du pitch de Ghost Dog, à savoir un samouraï afro-américain, reconverti en tueur à gages, mais aussi fan de hip hop et éleveur de pigeons, on aurait envie d'hurler "KAMOULOX". Pourtant, ce film de Jim Jarmusch qui met à l'image un Forest Whittaker froid comme la lame de son katana a rejoint le rang des oeuvres dont la bande-originale est indissociable du film et vice-versa. Cette symbiose parfaite entre les images et le son gagne souvent le qualificatif de « chef d'œuvre », raison pour laquelle on pense inévitablement à une flopée de Tarantino, à La Haine, ou plus récemment à Drive. Et bien évidemment à Dirty Dancing.

En 1999, quand le RZA se penche sur la BO de Ghost Dog, celui-ci atteint des sommets créatifs en tant que maître à penser et esthète en chef du Wu-Tang Clan. Sans avoir pour thème principal le hip hop, Ghost Dog va devenir un des films qui transpire le plus une certaine idée de la culture rap, avec ses codes, ses coutumes et son ambiance. Lancer cet album c'est se retrouver sur le toit d'un immeuble à faire son entrainement au sabre avec Louie, croiser les membres du Wu en bas du bloc, ou s'offrir un ballade de nuit dans Jersey City au volant d'une Lexus. Se replonger dans cet BO c'est également faire un grand bond en arrière et revoir surgir une certaine vision du hip hop, une sorte de « golden age » du rap instrumental, quand Dj Shadow et Dj Krush étaient de véritables demi-dieux. Et pour une fois, on ne parlera pas de Madeleine de Proust mais plutôt de bonne crème glacée au chocolat. (Bastien)

Alcest

Écailles De Lune

On le soulignait dans notre chronique de Spiritual Instinct fin 2019 : placer Alcest sur l'échiquier musical est bien plus compliqué qu’il n’y parait tant les Français aiment brouiller les pistes avec des compositions brassant sans complexe shoegaze, metal atmosphérique, post-metal et dream pop. Se replonger dans Écailles De Lune, deuxième album du groupe sorti en 2010 et aujourd'hui réédité, c’est réaliser à quel point le binôme polit ce rapport complexe à sa musique depuis ses débuts. Chant éthéré vrillant en screaming cathartique, mélodies aériennes entretenant une atmosphère profondément mélancolique, dualité claire-obscure permanente et saillies épiques à grand renfort de blast beats : c’est bien simple, tout ce qui fait l’identité actuelle du groupe se retrouve sur les 6 pistes de ce disque qui a fait d’Alcest le pionnier du blackgaze. Pour célébrer les dix ans de cet album fondateur, le label indépendant Prophecy Productions sortira le 18 décembre en format CD et vinyle une édition anniversaire d’Écailles De Lune comprenant un morceau inédit : « Circe Poisoning the Sea ». Une version augmentée qui devrait ravir autant les fans que les amateur·rice·s de musique alternative puisque, rappelons-le, Alcest reste on ne peut plus accessible à l’oreille un peu curieuse, contrairement à la quasi-totalité des groupes étiquetés blackgaze et post-metal. (Adrien)

Nails

Unsilent Death

Sortir son chien, faire l’amour à son significant other, boire un bon café au saut du lit, autant d’activités du quotidien qui ne nécessitent normalement pas plus d’un un quart d’heure de votre temps précieux. C’est également le temps qu’il vous faudra pour arriver au bout de Unsilent Death, le premier album de Nails, que vient de rééditer Southern Lord Recordings, le label de Greg Anderson et Stephen O'Malley de Sunn O))). Et on peut comprendre leur envie de permettre à ce disque qui fête cette année ses dix ans d’exister un peu correctement, lui qui est à la base sorti sur un Six Feet Under Records, vrai label de connaisseurs dans les sphères hardcore – en d’autres termes, énormément de bonnes choses, mais dont personne ou presque n’a entendu parler.

Redécouvrir le Nails de 2010, c’est réaliser combien à l’époque le groupe maîtrisait déjà sa formule. Alors oui, des groupes aussi remontés que Nails, actif dans cette sous-catégorie du punk hardcore que l’on nomme power violence, la scène en compte énormément, mais rares sont ceux affichant un ratio agressivité / talent aussi élevé. Aujourd’hui, Nails sort des disques sur Nuclear Blast, se retrouve dans les classements de fin d’année de Rolling Stone, se fait produire par le grand Kurt Ballou et éclabousse de salles de plus en plus grandes de son nihilisme, mais déjà sur son premier album, le groupe formé un an plus tôt par l’ancien guitariste de Terror proposait un condensé de brutalité terrifiant d’efficacité, dont on ne ressort pas indemne. Deux inédits issus des sessions d’enregistrement du disque et les trois titres qui apparaissaient sur le 7” Obscene Humanity viennent compléter un tracklisting où les titres de plus de deux minutes sont aussi nombreux que les neurones encore fonctionnels dans le cerveau de Koba LaD. Ouille ouille ouille. (Jeff)

Hallelujah Chicken Run Band

Take One

Depuis la petite quinzaine de numéros qu’existe ce dossier, il nous a été donné l’occasion de pas mal voyager, et notamment de bien baliser le continent africain. Mais grâce au toujours impeccable label allemand Analog Africa, on s’offre une première incursion sur les terres du Zimbabwe, à une époque où ce pays s’appelait encore Rhodésie.

Mais on ne va pas vous lâcher tout de suite avec l’histoire. Car parler du Hallelujah Chicken Run Band, c’est devoir évoquer le contexte dans lequel le groupe s’est formé, et a fait évoluer son art. Dans un pays à l’époque dominé par la minorité blanche, des musiciens ont cherché à valoriser leur patrimoine culturel, et à le fondre dans une multitude d’influences extérieures. Ce métissage, on le nomme Chimurenga, qui veut dire « combat révolutionnaire » en langue chona. Et cette compilation a pour seul et unique objectif de nous faire comprendre qu’à l’époque, les rois du Chimurenga, c’était le Hallelujah Chicken Run Band. Étant aussi experts en Chimurenga que l’Equipe de France de football en beau jeu, notre confiance en Samy Ben Redjeb, boss d’Analog Africa, est totale. En même temps, lui s’en remet au groupe et à sa formidable capacité à réveiller les morts avec sa musique qui emprunte autant à la tradition locale qu’au rock, au cha-cha-cha ou à la rumba congolaise.

Comme de nombreuses rééditions ces dernières années, c’est l’occasion pour pas de formations qui ont connu la gloire sur leur terre natale de s’exporter enfin, à la faveur du retour en grâce du continent africain et du format vynile. D’ailleurs, cela n’aura pas échappé à nos sachants sûrs : cette compilation des meilleurs tubes et de quelques raretés triées sur le volet était déjà sortie en 2006, mais au format CD. Autre époque, autre format, mais même kif. (Jeff)

Gentle Fire

Explorations

Est-ce que les rééditions sont à la mode ? Oui. Est-ce qu’elles le sont toutes ? Non. Et dans la famille des rééditions pas à la mode, mais de projets qui n’étaient déjà pas à la mode à leur époque, on vous présente Gentle Fire. Fidèles à leurs nobles intérêts, comme Pauline Oliveros ou Morphogenesis, les gens de Paradigm Discs ont souhaité nous apprendre ou nous rappeler l’existence de ce collectif londonien qui a connu sa période d’activité au début des années 1970. Musiciens, compositeurs et performers, les membres du groupe s’étaient donné pour objectif de faire vivre une certaine musique, celle de John Cage, de Christian Wolff, de Earle Brown, et de la faire vivre d’une certaine manière. En live, dans des milieux certes intellectuels mais qui n’étaient pas ceux du cursus classique et qui permettaient de cultiver une création contemporaine dont l’expérimentation n’est pas qu’une recherche esthétique mais également un cadre d’écoute et de pratique. Si bien que jusqu’en 2005, les enregistrements de Gentle Fire n’avaient jamais été rendus publics. Ils furent conservés dans les archives de Hugh Davies, membre du groupe que la mort permit paradoxalement de faire renaître. D’abord distribué parcimonieusement à des institutions artistiques et universitaires, leur travail fait maintenant l’objet d’une réédition dont Explorations est la première pierre. On y retrouve donc des interprétations de compositeurs marquants, mais aussi des créations propres qui n’ont rien à leur envier. Collages sonores, bruitisme, expérimentations électroniques, tout est subtilement amené pour un collectif qui avait compris beaucoup de choses à propos de la musique post-Stockhausen. (Emile)

Zazou Bikaye

Mr Manager

En 1985, le chanteur congolais Bony Bikaye, le producteur français Hector Zazou et le mystérieux CY1 sortaient Noir et Blanc, disque majeur qualifié par la presse de l’époque de visionnaire, de croisement entre Kraftwerk et Fela Kuti. Une comparaison pas dénuée de sens et bien utile pour en faire un autocollant à placarder sur la pochette, mais qui ne rendait pas justice à l’immense richesse d’un disque qui avait bien mérité sa réédition sur Crammed Discs en 2017. Un disque dont on appréhende aujourd’hui encore mieux les contours à la faveur d’une nouvelle réédition, toujours par le label bruxellois, de l’album suivant de Zazou et Bikaye.

De l’avis de Marc Hollander, patron de Crammed Disc qui a supervisé la production de Noir et Blanc, sa philosophie consistait à combiner le chaud et le froid - quand bien même c’était plutôt une impression plutôt austère qui se dégageait de l’ensemble. Tout le contraire de Mr. Manager, l’album suivant dont il est questionici, et dont ‘rayonnant’ est probablement le qualificatif qui lui correspond le mieux. Au-delà des messages engagés qu’il propage (« L’ensemble du disque reflète l’esprit de révolte et d’optimisme qui régnait autour de nous vers 1985, alors que toutes les rencontres entre gens et cultures semblaient possibles » explique Bony Bikaye), Mr. Manager est surtout une formidable machine à faire danser par moments, et à foutre un formidable bourdon à d’autres. Mais à chaque fois, on trouve cette constante : des émotions d’une grande pureté en forment le rutilant moteur.

Rencontre d’influences africaines traditionnelles et du métissage electro / hip hop qui infusait l’époque, Mr. Manager s’offre aujourd’hui dans une version sérieusement augmentée : à la base un mini-album d’une demie-heure seulement, le disque comprend aujourd’hui pas moins de quatorze titres, dont six sont totalement inédits et trois figuraient sur des singles au tirage limité. Autant dire que vous en aurez pour votre argent. (Jeff)