Dossier

10 titres pour comprendre l'énigme Moodymann

par Jeff, le 28 novembre 2018

En avril dernier, Moodymann teasait ce qui devait être son nouvel album avec "Got Me Coming Back Right Now". Un premier titre pour annoncer le retour d'un producteur house de génie, d'une icône de Détroit, d'un communicant extrêmement discret, d'un ardent défenseur de la cause black et du plus grand fan de Prince au monde. Nous sommes six mois plus tard, et c'est à la faveur d'un petit tour sur la page Discogs de ce nouvel album que l'on apprend qu'à la demande de l'intéressé, il ne sortira jamais, mais sera plutôt offert à quelques lucky few - les commentaires de la page racontent qu'il en a distribué un exemplaire lors de son récent passage au Rex Club. Cet improbable retournement de situation, c'était l'occasion rêvée de noyer notre chagrin dans un élan didactique, doublé du plaisir de se repasser l'épaisse discographie de Kenny Dixon Jr. pour y piocher dix titres qui sont autant représentatifs de sa façon d'appréhender son art que de l'amour infini qu'on porte à l'un des artistes les plus essentiels de la musique noire américaine. 

U Can Dance If U Want 2

Moodymann

Moodymann aime trop Prince pour lui rendre un hommage tout ce qu'il y a de prévisible. Alors quand il sample le kid de Minneapolis, l'obligation de fort bien faire les choses s'impose : il pioche dans un des albums les plus emblématiques de Prince (1999), en ressort l'electro-funk "All The Critics Love U In New York", et pond un EP tout à la gloire de ce seul titre, cuisiné à toutes les sauces. Aujourd'hui, la famille de Prince le lui rend bien : ce 1/12, Moodymann se produira à Paisley Park, le complexe de 65.000 mètres carrés que le chanteur s'était construit à la fin de 80's.

Dem Young Sconies

Moodymann

Quand on pense à Moodymann, on pense à une house chaude, à une production généreuse. Et c'est vrai qu'il est là, l'ADN de l'artiste. Mais Moodymann est aussi capable d'exceller dans la froideur, comme le démontre ce banger absolu sorti sur Planet E et qui sample Wet, un obscur groupe de synth-pop belge.

I'm The Baddest Bitch (In The Room) (Moodymann Mix)

Moodymann

On pourrait dire que Moodymann n'a eu besoin de personne pour bâtir sa légende, mais ce serait oublier un peu vite la voix chaude et soulful de Norma Jean Bell, qui a permis à quelques-uns de ses titres de prendre une autre dimension. Une relation qui a toujours été dans les deux sens, puisque Kenny Dixon Jr. a aussi produit la carrière solo de Norman Jean Bell.

Birthright

Dilla Dog

En préparant ce dossier, on s'est dit qu'il était impensable de ne pas mettre un titre d'un artiste signé sur Mahogani Music. Et logiquement, on a tout de suite pensé à Andrès, qui a livré son lot de pépites au label. Puis en fouillant sur la page Discogs du label, on est tombé sur une référence attribuée à J Dilla, sous l'alias Dilladog. Et on y a entendu des trucs qui étaient suffisamment dingues pour être considérés comme d'un niveau de qualité égal à l'étalon-or Donuts. Rien que ça.

I Got Werk

Moodymann

Ce morceau est incroyable à deux niveaux de lecture : d'abord parce que pendant trois grosses minutes qui suintent le cul, on entend le chaînon manquant entre Underground Resistance et Prince. Ensuite parce que le morceau a eu droit à un clip dont la figure centrale est Moodymann himself, lui qui a pourtant fait le choix de vivre le plus loin possible des objectifs de caméra.

Outer Drive

Kenny Dixon Jr

L'unique disque de Three Chairs, c'est un peu comme la sauce lapin sur tes boulets : la cerise sur un gâteau qui a déjà de la gueule. La tignasse la plus folle de Détroit y partage  l'affiche avec les incroyables Rick Wilhite et Theo Parrish, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ici la concurrence est plus que saine. C'est en tout cas ce dont témoigne cet "Outer Drive" impeccablement exécuté, un party starter au groove cousu main sur lequel de menus filtres viennent apporter une respiration hypnotique. Ferme les yeux, et te voilà au beau milieu d'une block party en train de t'agiter sur la piste de danse avec le sosie de Halle Berry. Pourvu que cette boucle ne s'arrête jamais.

January

Kenny Dixon Jr

Ceux qui apprécient les sets kilométriques de Mr. Scruff ne pourront que tomber amoureux de cette pépite à la croisée de la deep house et du jazz, qui surclasse la concurrence quand ses basses de velours viennent cannibaliser le beat. En prime, on retrouve à 2 minutes 10 cette nappe qui servira un an après de fil directeur à son immense premier long format Silentintroduction qui paraîtra sur la structure de Carl Craig, Planet E. Un classique parmi les classiques de nos dimanches lascifs.

On My Way Home

Moodymann

"On My Way Home" correspond à ce moment privilégié dans la nuit du samedi au dimanche, quand le jour se prépare à reprendre ses droits et que Détroit dort encore. Au volant de sa Chevrolet cabossée, on imagine le DJ savourer ce rare moment de calme où sa ville d'adoption se dresse, fantomatique, bizarrement éteinte, en contradiction totale avec toute la vie brassée dans le club où il a joué cette nuit. Un bref aperçu de ce que deviendrait la musique de Kenny Dixon Jr. s'il se décidait à virer techno. Les années qui passent, on désespère de l'entendre un jour offrir un disque entier dans ces tons-là. Ce qui ne nous empêche pas de fantasmer assez ouvertement sur le sujet.

The Third Track

Moodymann

Laisse tes soucis au vestiaire. Non, laisse-les dehors, chez ceux qui n'ont pas eu la chance de passer les portes du club. Pénètre dans le hangar, et laisse-toi porter par ce sample tout ce qu'il y a de plus anodin. Puis, laisse la fièvre monter en toi jusqu'à ce qu'explose la ligne de basse, provoquant cris et larmes de joie sur la piste de danse. Ici on est face à la fête, la vraie.

I'm Doing Fine

Moodymann

Black Mahogani est sans aucun doute le meilleur album de Moodymann. En tout cas, c'est celui qui construit le pont le plus parfait entre la soul et la house. Ici, tout a beau être écrit jusque dans le moindre détail, l'ensemble n'en demeure pas moins insaisissable, et même après dix années d'écoutes répétées, on n'a toujours pas l'impression d'avoir fait le tour de la question. "I'm Doing Fine" est un moment à part sur ce disque, un bonbon de neuf minutes, une longue respiration soul qui fait du bien à l'âme et qui flirte parfois avec la sensualité d'une Erykah Badu période Baduizm. Et quand on en arrive au bout de ce monstre de douceur, on se demande bien ce qu'on irait foutre chez un psy quand de telles choses existent.