Concert

Sharon Van Etten

Muziekodroom, le 16 novembre 2014
par Denis, le 30 novembre 2014

Quelque part entre L’Atelier luxembourgeois et feu la Soundstation, le Muziekodroom d’Hasselt est une salle modeste, perdue au milieu d’un zoning industriel plus propice à la vente de métamphétamine et au trafic d’organes qu’au développement d’un espace culturel. Si l’endroit ne cadre pas avec la fraîcheur de la tête d’affiche du soir, c’est également le cas des premiers spectateurs arrivés, cloués au bar et maussades derrière leur bière. Il est vrai que les Diables Rouges viennent de réussir l’exploit de se faire accrocher à domicile par l’équipe de coiffeurs du Pays de Galles que la presse tentera de nous présenter rétrospectivement comme sous-estimée. Mais hauts les cœurs : c’est l’auteure d’un des meilleurs disques indie de l’année écoulée qui se produit ce soir dans une ambiance intimiste. Le concert n’est pas sold out et le club dans lequel on s’engouffre ne rend pas la respiration tout à fait impossible. Cinq ou six photographes mesurant 2 mètres investissent le premier rang, d’où ils ne cesseront de mitrailler la scène durant toute la soirée. 

Marisa Anderson prend alors possession de l’espace. Si Sharon Van Etten a des airs sympathiques de raton-laveur, celle qui officie en première partie rappelle surtout Mlle Crabtree, la chauffeure de bus de la série South Park. Semblant s’extirper difficilement d’une vilaine cuite au bourbon, elle multiplie les anecdotes entre des morceaux garage-folk qu’elle exécute en lap steel : sa prestation se donne à voir comme la B.O. d’un voyage en Oregon, qui fleure les scieries et les hippies vieillissants, la poussière et les bières bio. Au bout d’un moment, c’est un peu lassant et l’apéritif pourrait se révéler indigeste : afin de goûter pleinement le plat principal, on sort se mettre quelques minutes à l’écart, tandis que, dans le club, des applaudissement polis continuent à encourager l’artiste.

La configuration de la salle impliquant que les musiciens doivent passer par le public pour entrer sur scène, le concert de Sharon Van Etten s’ouvre sur une haie d’honneur. Et par un problème de micro mal calibré, qui oblige un technicien à modifier le câblage avant que l’égérie du label Jagjaguwar ne puisse entamer “Afraid of Nothing”. La setlist, en toute logique, fait la part belle aux titres issus de l’excellent Are We There : des exécutions impeccables (particulièrement sur le plan vocal) de “Taking Chances”, “Our Love” et “Break Me” se succèdent, entrecoupées d’échanges riants avec une audience conquise d’avance. Le groupe s’autorise aussi quelques détours, rappelant au public l’existence de “Save Yourself” (présent sur le deuxième album, Epic) ou “Tell Me” (qui figurait sur Demos), et lui offrant l’opportunité de découvrir “I Don’t Want To Let You Down”, composé en vue du dernier album, mais qui n’a finalement pas été retenu sur celui-ci. Après une bonne dizaine de titres, des remerciements prolongés et une invitation à passer au stand marchandising, le groupe quitte la scène et se dirige vers le bar, tandis que le public reste en place dans la salle : le rite du rappel a toujours produit un effet ridicule, mais celui-ci est décuplé quand il n’existe pas de coulisses. Une dame d’une quarantaine d’années sort de la salle pour héler le groupe et s’assurer qu’il n’en a pas vraiment terminé, et la chanteuse finit par nous rejoindre. Seule sur scène, elle interprète un titre inédit, écrit par Karen O et pour lequel elle a elle-même composé la mélodie. Très dépouillé, celui-ci convainc moins qu’“Every Time the Sun Comes Up”, qui clôt le concert : une improvisation de Doug Keith, son guitariste, déstabilise quelque peu Van Etten dont la voix épouse du reste magnifiquement celle d’Heather Woods Broderick. Le public ne remarque pas le léger incident et applaudit à tout rompre : Sharon a fait oublier l’incompétence de Marc Wilmots.