Concert

Rock en Seine et les Strokes, 20 ans ou presque

Domaine de Saint-Cloud, le 27 août 2023
par Nico P, le 7 septembre 2023

Il y a vingt ans, c’était un mercredi, un nouveau festival voyait le jour, toujours un évènement, pensez-vous bien, d’autant plus que celui-ci, bonheur absolu pour le petit parisien fraîchement arrivé à la capitale, se tenait aux portes de la grande ville, pas très loin du métro. C’était un mercredi, c’était une seule journée, deux scènes et c’est tout, mais c’était un nouveau festival, et c’était, déjà à l’époque, suffisamment cool pour être souligné, remarqué.

Vingt ans plus tard, petit festival et petit festivalier ont bien grandi. Le premier dure désormais quatre jours, possède pas moins de cinq scènes (en comptant la plus petite, la scène Ile-de-France, celle des découvertes, des jeunes pousses), et a vu défiler The Strokes (pour la date anniversaire, 27 août 2023, et hasard, le jour-même du 22ème anniversaire de leur tout premier album), Billie Eilish, The Chemical Brothers, Cypress Hill, Boygenius, Yeah Yeahs, et d’autres, et d'autres, et d’autres. Placebo aussi. The Murder Capital, Be Your Own Pet… La liste fut, cette année encore, longue.

Photos : Marie Lerat

 

 

Petit festivalier a lui aussi vingt ans de plus, et fort heureusement, à en croire les photos d'époque, cela se voit et tant mieux. En vingt ans, le festival a changé de direction. De patron donc, mais aussi, parfois, de ton. Certains et certaines n’ont que moyennement goûté l’apparition de PNL en tête d’affiche (oubliant un peu facilement, ou très volontairement, l’importance du duo dans le paysage moderne). Et puis le festival a grandi, ses festivaliers aussi, cela va de soi, les jeunes d’hier le sont beaucoup moins, normal, et puis 22000 personnes (le 27 août 2003), ce n’est pas 150000 (cette année). Des raisons de grogner, des raisons d’espérer, des raisons de se perdre, il y en a des bonnes, des mauvaises, chaque année. Des raisons de se retrouver aussi. Henri n’était pas venu depuis une bonne décennie. Il était de retour. Bière à la main, il raconte : “j’ai arrêté de venir pour tout un tas de raisons, je m’en rend compte, qui n’était pas vraiment lié au festival, mais à moi-même. J’ai simplement arrêté d’écouter du rock. Et quand un festival se nomme Rock en Seine, oui, tu es attiré au début, car tu te dis que tu vas trouver du rock, et bizarrement, c’est ce qui est resté dans l’esprit des gens. Alors que la première édition, la tête d’affiche était Massive Attack. Je suis revenu quand j’ai arrêté de tout confondre finalement”.

Mathieu Ducos, directeur du festival, ne dit pas autre chose au micro de France Info : “le rock est évidemment très présent mais c'est avant tout un état d'esprit et une attitude, qu'on peut retrouver sur des esthétiques musicales différentes. Pour la première année en 2003, on avait Massive Attack, on ne peut pas dire que ce soit l'archétype du groupe rock. On a eu les Chemical Brothers qu'on a encore cette année, on a eu des têtes d'affiche électro, hip-hop, folk, parfois des incursions jazz ou groove. L'idée c'est de proposer une programmation qui soit riche, large et qui laisse place à la surprise, qui déroute parfois. Il faut prendre des risques et sortir des sentiers battus”.

 

 

Grande question. Cela ressemble à quoi, un festival qui grandit ? Ou plutôt, cela devrait ressembler à quoi ? Fédérer, tenir chaque année pendant plusieurs jours dans un immense lieu un grand raoult populaire, c'est nécessairement, sinon humer l’air du temps, tout du moins en avoir conscience. C’est donc, à l’image des playlists de 2023, qui ne sont pas du tout les mêmes que celles, sur CDR, de 2003, ne pas choisir, marier les styles, les genres, les publics en somme. Un bon festival, à l’image d’un bon concert des Strokes (on vous voit encore les grincheux ou les cyniques désireux de faire du clic),c’est brouillon, ce n’est jamais parfait, c’est hésitant, c’est une succession de magnifiques erreurs, parfois, c’est davantage une quête, ce n’est jamais un chemin tracé. On tend l’oreille, on juge, on décide de rester, on part, on revient. Un festivalier, un festival, sont à l’image des carrières passées et futures : ils ne savent pas.

Pierre était là en 2003. Et en 2004. En 2005, il ne se souvient plus très bien. Peut-être. 2009, il en est sûr, il était dans la fosse pour la séparation d’Oasis (au passage, un petit désagrément qui façonne les grandes légendes, celles des groupes comme des événements qui les accueillent) : “vingt ans, c’est une vie de mélomane je pense, ça commence quand tu te forges tes premières certitudes, et deux décennies plus tard, tu es un adulte moins enclin à la découverte, tu as tendance à te reposer sur tes acquis. Quand un disque fête ses dix ans, cela ne me fait pas grand chose finalement, mais vingt ans, c’est tout de suite plus difficile. Je ne suis pas venu ici depuis quelque temps, et je me suis dit que je ne reconnaissais plus tout, mais ce n’est pas grave, ce n’est plus un rendez-vous qui nous appartient avec nos amis, il appartient à tout le monde”.

 

 

Nous sommes en 2001. Coldplay, Muse et Limp Bizkit dominent les charts rock. La britpop est décédée, déjà oubliée, le grunge également. La pop de stade, calibrée pour les foules, sans âme, sans danger, cartonnent un peu partout. Oasis survit, Radiohead abandonne les guitares, les Smashing Pumpkins se séparent… Quelque chose est bel et bien en train de disparaître. Et pendant ce temps, un groupe de cinq fils de bonnes familles grattent quelques accords dans un local miteux de New-York City. The Strokes. Août 2001. Les Strokes sortent leur premier album, Is This It ?. La déflagration est immédiate. Les critiques, dithyrambiques : quatre étoiles de la part du magazine Rolling Stone, 9,3 chez Pitchfork, est nommé album de l'année par Entertainment Weekly. Les Strokes sont désignés à plusieurs reprises comme "les sauveurs du rock", un statut qui sert à la notoriété de l'album. La tournée, mondiale, passe par le Japon, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Angleterre, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Canada… Les Strokes font la une, occupent les conversations, inspirent une génération. A leur suite, les labels signent à tour de bras des artistes à guitares : Franz Ferdinand, Interpol, The Vines, Arctic Monkeys, Yeah Yeah Yeahs… En cinq petites années, la planète se chausse de Converse, la jeunesse porte la cravate noire et fine, le cheveu sale. Même Paris, avec Naast, Brats et les Shades, se dote d’une scène rock’n’roll, jeune, ambitieuse.

Deux années plus tard sort Room On Fire, immensément attendu. Et déjà, bien qu’on l’ignore, quelque chose est en train de se déliter. 2007. Le groupe, lessivé après trois albums et une vie sans interruption sur la route, fait une pause. De cinq longues années. Les membres sortent des albums en solo. Les fans s’inquiètent. L’entente n’est plus au rendez-vous. On parle de séparation. Quand ils reviennent aux affaires, en 2011, c’est pour sortir un album enregistré sans se rencontrer, ou presque, en studio (selon les rumeurs, tout du moins). Les dates se font rares. L’envie n’y est définitivement plus, et dans la presse, ils ne s’en cachent pas.

 

 

2020. Sept années après leur dernier album, et alors que leur premier s’apprêtent à célébrer ses vingt ans, les Strokes sortent The New Abnormal, sixième album inespéré. Ils le promettent, ils sont bel et bien de retour, les conflits réglés, l’envie retrouvée. Vingt ans d’une carrière artistique avec ses hauts et ses bas. Vingt ans de tournées, d’engueulades, de studio, de rumeurs. On ne compte pas les deux années de pandémie, vaste vide de l’Histoire. Vingt ans donc, on se permet de compter ainsi. Un double anniversaire, celui de Rock en Seine, celui des Strokes. Une nostalgie, ce weekend-là, nécessairement présente, mais pas forcément entretenue, un Placebo et un Cypress Hill côtoyant Silly Boy Blue, magistrale, Blumi, définitivement à suivre, les délirants Dalle Béton, les exceptionnels Brutus… Un festival pour tout le monde en somme.