Concert

Les Electros d'Uzès 2017

Uzès, le 4 août 2017
par Émile, le 12 septembre 2017

Fête votive

"Attention, mesdames et messieurs, protégez vos enfants, un lâcher de taureaux va avoir lieu dans quelques minutes..." On se disait bien que le gars qui nous avait pris en stop pour venir avait de drôles de trucs à raconter sur le festival. C'est juste qu'on parlait pas du même. Hallucinés par la foule de familles qui se pressaient sur l'unique boulevard de la ville, on est rapidement tombés perplexes face à l'ambiance. Les parents et enfants s'accrochaient contre les larges barrières remontant sur le pourtour du centre-ville pour voir des taureaux se faire courageusement agripper en vol par d'incroyables chevaliers locaux (en vrai, c'est des vachettes, et autour y a des gens à cheval qui les piquent avec des lances quand elles vont pas où ils veulent). Mais si vous voulez un compte-rendu des "Abrivades d'Uzès", c'est pas ici qu'il faut venir. Car pas spécialement intéressés par le spectacle, on a préféré quitter le centre pour chercher le site des fameuses "Electros".

"..vous en voulez encooooore ? OUIIIII ! Encore plus viiiite ? OUIIIII !" Et oui, parce que ce qu'il faut savoir, c'est que le premier week-end d'août à Uzès, c'est pas juste les Electros, et c'est pas non plus juste le lâcher de taureaux annuel, c'est aussi la fête foraine. Avec tout ce qui va avec : manèges, maison hantée, barbe à papa, pêche aux canards et autres jeu d'arcade permettant de tester votre dextérité. Et pour bien comprendre à quel point le mélange des ambiances est intriguant, figurez-vous aussi qu'Uzès est une charmante bourgade, certes, mais une bourgade de taille réduite. Et donc, que l'arrivée des taureaux et les bars achalandés se trouvent en face de la fête foraine, et que si vous voulez accéder au site du festival de musique électronique, vous devez passer par la fête foraine; et il n'y a littéralement pas d'autre façon d'y accéder.

Il faut donc comprendre les Electros d'Uzès par cette surenchère festive, dans laquelle des ambiances complètement différentes se retrouvent posées les unes en face des autres; et finalement, en s'imaginant voir les foules descendre les routes françaises pour assister à deux jours de techno, on s'est retrouvés très minoritaires par rapport au lâcher de vachettes et à la fête foraine. Le festival de musique n'étant qu'une autre façon d'interpréter ce week-end dans lequel c'est la fête qui prime, et ça, franchement, ça nous a plu. Traditionnellement, en Provence, on nomme cela une fête votive, grande célébration en faveur d'un saint patron, et qui peut prendre n'importe quelle forme, dans la mesure où elle permet aux gens de se retrouver sous une égide religieuse locale, même si la religiosité s'est quelque peu évaporée de la fête.

Contrôle qualité

Sauf que cette chouette idée d'interprétation festive s'est d'abord posée en ces termes : "Et si le festival était là simplement comme une attraction pour distraire les touristes ?" La réponse est non. Le line-up ne nous avait pas trompés, et l'organisateur, Pascal Maurin, a rapidement confirmé en nous confiant : "On a un budget très limité, ce qui nous permet de faire des entrées à partir de 10€ [ndr : véridique, 20 balles les deux soirs], mais y a des trucs sur lesquels on négocie pas, c'est la qualité de la programmation, et le son, qui doit être d'une excellente qualité. Là ce soir ça va être parfait, les gars ont bossé dessus toute la journée."

Et en effet : le festival est exigeant, la sonorisation est d'une excellente qualité, et vous pouvez être sûrs que de 21h à 3h, il n'y a que du bon au programme. Musicalement, qu'est-ce qui est sorti de cette année à Uzès ? Déjà, une déception et un énorme coup de cœur. La déception, c'est Dj Deep : on s'attendait à ce que la simplicité de sa musique nous transporte par son efficacité, elle nous a ennuyé par son manque de profondeur. Un set qu'on a trouvé trop vieux pour son époque, et un public qui n'est resté chaud que par l'inertie des concerts précédents. Le gros coup de cœur, c'est Danny Daze : le DJ de Miami a envoyé 90 minutes d'excitation sans relâche, avec un set sur vinyles aussi efficace qu'original. Comprenant bien que la soirée était fortement tournée vers une techno indus relativement énervée, il a su mêler cela à de la trap, des morceaux très breakés, des passages presque dub : bref, un régale, et le public local, très connaisseur, l'a bien senti.

Et même si l'Américain se détache du lot, le reste de la programmation était d'une incroyable qualité, et il faut noter à quel point c'est rare de n'avoir quasiment aucun déchet sur deux jours de festival, même concentrés en deux relativement courtes soirées. Helena Hauff a survolé les débats avec une violence extrême, imitée de près le lendemain par Amelie Lens et Dj AZF, cette dernière offrant le warm-up le plus énervé que vous puissiez voir en soirée techno. Au milieu de ces sonorités rapides et survitaminées, Chloé, avec qui on a pu parler un peu après son concert, a proposé quelque chose de très original, un peu en décalage avec le reste, flirtant avec un public qui aurait voulu aller immédiatement au contact. C'est pour dire, Konstantin Sibold faisait figure de petit joueur sur la scène, lui qui est pourtant un habitué des clubs de la capitale allemande.

Vous pouvez aller jeter un œil aux programmations des années précédentes, rien n'est jamais laissé au hasard : une orientation de musique électronique par année, drum'n'bass, dubstep, techno ou encore house, et à chaque fois des pointures.

Place à la parité

Mais une des vraies originalités de ce festival, vous l'aurez peut-être compris à la lecture, c'est la forte présence féminine dans la programmation. Face à la faible représentation des femmes dans la musique électronique, Pascal Maurin ne cache pas son ambition de faire de sa programmation une activité politique en soi : "Ça fait plusieurs années que je programme des filles à Uzès, Nina Kraviz, Margaret Dygas par exemple - au moment où on pouvait les payer, on pourrait plus aujourd'hui - et cette année je me suis dit, pourquoi pas faire carrément moitié-moitié, et je voulais surtout pas faire un plateau que de filles, et je voulais surtout pas non plus que les filles ne jouent qu'en warm-up. Par opportunité ça a fonctionné, mais c'est un parti pris que j'assume depuis quelques années, et je voulais le pousser jusqu'au bout. Quand on voit le top 100 de Resident Advisor, y a même pas dix filles, je trouve pas ça normal, y a tellement de filles qui font des choses intéressantes; je rappelle que Helena Hauff est la seule à avoir mixé exclusivement vinyle pendant le festival."

L'initiative est vraiment intéressante : transposer le concept de discrimination positive à des line-up de soirées de musique électronique, forcer les gens à s'habituer à voir des femmes sur scène, pour que cela devienne aussi normal que voir des hommes, et ne pas faire un plateau de femmes tous les deux ans pour se donner bonne conscience. Force est de constater que personne n'oserait dire que cela a baissé la qualité des deux soirées à Uzès. Au contraire, cela faisait un moment qu'on avait pas vu tant de talents concentrés. 

Un festival de village ?

À vrai dire, on hésite sur l'appellation, mais dans le week-end, l'expression de festival de village nous est venue, et pour cause : un grand bar pour la bière et les frites, tenu par des gens du coin, la fête foraine en fond lumineux (et même sonore dans les moments de silence), la promenade en gravier sur laquelle se tiennent les concerts, les gens étonnés que l'on vienne de si loin (Lyon, donc moins de trois heures de route) pour faire la fête à Uzès, tout nous indique un festival avec une programmation digne des soirées techno dans les grands clubs français ou internationaux, mais destinée à la population d'une petite ville de la campagne provençale. Et ce n'est pas donner de la confiture à des cochons : le public d'Uzès, comme on le disait, est connaisseur. La musique électronique a une vie à elle dans la région, sous la forme de festivals d'été, mais aussi, a-t-on compris en en parlant avec les gens du coin (participants ou viticulteurs), avec des organisations régulières de free parties dans les champs laissés à l'abandon.

Les Electros d'Uzès, c'est un superbe cadeau fait aux habitants d'une région où les grosses soirées de musique électronique sont tout de même rares, et qui est parvenu à acquérir et conserver une belle notoriété. Ce que le programmateur nous expliquait ainsi : "Le festival existe depuis 17 ans, pas l'âge d'Astropolis mais presque. Les premières années c'est Fany Corral qui le programmait et qui y mixait, et on a fait venir Weatherall, Garnier, Vitalic. Maintenant les agents internationaux connaissent le festival, avec ses spécificités, c'est-à-dire que la plupart des artistes aiment parce que ça les change des grosses structures, ils doivent traverser la fête foraine, y a des guirlandes. C'est à la cool, mais y a un public de connaisseurs, des gens qui suivent le festival depuis le début."

On vient pour la musique et l'authenticité : ambiance village, pas de camping, pas de concerts en journée, pas franchement organisé pour manger et boire, deux soirées brutes posées sur le pic de l'été, mais deux superbes soirées, avec une programmation top et du temps avant les soirées pour visiter une région dont l'identité n'est pas du tout altéré par la présence du festival. Pascal Maurin affirme vouloir proposer autre chose que ce qui se fait habituellement tout en conservant la qualité et en baissant les coûts : pari réussi.