Concert

Kevin Gates

La Bellevilloise , le 14 janvier 2016
par Tariq, le 29 janvier 2016

Des marécages de la Louisiane sont sortis quelques-uns des artistes les plus brûlants et charismatiques de l'histoire du hip hop. Ici plus qu'ailleurs, le rap, la fête, la vie, la mort et l'enfermement sont intrinsèquement liés. Au point de ne former q'un tout, une culture à part entière, qu'on l'appelle bounce music, gangsta rap ou, pour citer le père spirituel de toutes ces scènes du sale sudreal nigga blues. C'est ici qu'ont émergé certains héros des temps modernes aux personnalités bigger than rap : Soulja Slim, Mystikal ou Lil Boosie. Autant dire qu'on avait des papillons dans le ventre à l'idée de voir l'un des héritiers de cette tradition, en chair et en os, ici, à Paris.

Un mec qui, sans avoir sorti un seul album officiel (jusqu'à aujourd'hui, vendredi 29 janvier 2016, avec Islah), bénéficie d'une côte d'amour assez impressionnante des deux côtés de l'Atlantique. Ses quatre dernières mixtapes ont affolé les compteurs de Datpiff et il traîne dans sa besace quelques tubes imparables ("I Don't Get Tired", "Out The Mud" ou "Really, Really"). Rendez-vous était donc pris avec Kevin Gates, le 14 janvier, à la Bellevilloise.

Quand on franchit les portes de la salle, ce n'est pas encore le champion de Bâton Rouge qui tient la foule en haleine, mais un autre emcee survolté. On ne tarde pas à l'identifier (pas difficile, il gueule son blaze toutes les 30 secondes), c'est OG Boobie Black, associé de longue date du sieur Gates et poulain de son label BWA - pour Bread Winner Association. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que le rookie nous transporte immédiatement dans l'atmosphère d'un club poisseux de l'arrière-pays cajun. Déjà, le type est visiblement manchot de la main droite (son bras est caché sous son t-shirt), ça pose l'ambiance.

Il balance hymne sur hymne, arpente la scène de gauche à droite comme un chien fou, sue à grosses gouttes, en n'oubliant pas de nous rappeler - jusqu'à l'overdose - à quel point il est content d'être là, que c'est son "first time out there!". La petite salle n'est remplie qu'à moitié, mais une bonne partie de l'assistance est agglutinée au pied de l'estrade. On sent que les gens sont venus avant tout pour s'amuser et se défouler. La populace est, étonnamment, assez mixte et les petites meufs BCBG côtoient les nerds du rap internet. 

Grâce aux efforts de son hypeman, Kevin Gates arrive devant une foule chauffée à blanc. Et son attitude, dans les premières minutes du spectacle, tranche clairement avec la ferveur de la première partie. Teddy gris clair impeccable, lunettes élégantes sur le nez, le Louisianais se tient droit face à la salle. Il est concentré, posé. Alors que les premiers bangers commencent à défiler, le rappeur donne l'impression de garder le pied au dessus du frein, comme s'il cherchait à évaluer les forces en présence, à renifler l'atmosphère. Au fur et à mesure que l'on entre dans le vif du sujet, il s'ouvre un peu plus, retire sa casquette et commence à s'adresser au public.   

Et ce sont les premiers instants marquants du concert. Déjà, le type pue l'humilité et la sincérité à des kilomètres. Quand il entonne ses raps a capella, tout le monde retient son souffle. Non, non, ses prouesses vocales sur mixtapes ne sont pas des manipulations de studio, ce mec peut vraiment vous envoyer au septième ciel avec un raclement de gorge, une mélodie sublime sortie du tréfonds de ses entrailles. C'est le cas notamment sur le magnifique "Posed To Be In Love", ballade hardcore sur un type amoureux qui ne sait dire "je t'aime" qu'avec ses poings.

Là, on se doit de signaler que le plaisir a été amplement gâché par LE cancer des shows de rap : le playback. On commence à avoir l'habitude avec ces rookies tout juste sorti du circuit des mixtapes. Ils sont tellement habitués au format des showcases en club dans leur pays d'origine qu'ils sont incapables de s'adapter aux exigences d'un public européen, qui paie sa place 20 à 30 balles, et est en droit d'attendre plus qu'un simple medley.

Passé cet aspect gênant, Gates parvient quand même à rendre la soirée mémorable grâce aux quelques tubes nichés dans son répertoire. L'enchaînement de "John Gotti" et "Really, Really" fait vraiment passer le truc dans une autre dimension. Devant la scène, ça saute, ça crie, ça s'attrape par les épaules, dans une ambiance complètement surréaliste. Votre serviteur, venu à la base pour effectuer un travail journalistique de haute précision, a vite été happé par la folie environnante, forcé et contraint d'exécuter des cabrioles approximatives et des gestes avec les bras qui vous font risquer trois jours d'ITT.

Sur scène, Gates lui même semble surpris de l'effet que produisent ses chansons sur un public aussi éloigné de son coin d'origine. Les titres s'enchaînent à la sauce showcase mais ce n'est pas très gênant car le emcee dirige la foule à la baguette, alternant les pics et les accalmies, comme avec le sirupeux "Wassup With It" qui calme un peu les nerfs de la horde de gorilles présents à la Bellevilloise ce soir-là.

Le grand moment de la soirée interviendra à la toute fin, lorsque l'artiste balance le plus gros hit de son répertoire : "I Don't Get Tired". Là, il n'y a plus de limites, plus de frontières, la foule explose littéralement. On est plus proches d'une ambiance de troisième mi-temps entre potes que d'un concert classique. Pour terminer le travail, et expédier définitivement toute l'assistance sur une planète inconnue, Kevin Gates décide de quitter l'estrade pour rejoindre le public. Et nous d'assister à cette scène incroyable, mais logique dans le déroulé du concert, où le rappeur s'en va étreindre, presque un par un, les spectateurs présents dans la salle. Une vraie étreinte, hein, sincère, comme celle que pourrait vous donner un grand frère. Avançant vers la sortie au fur et à mesure des poutous qu'il donne à ses fans, Gates terminera le show sur cette note pleine d'amour et de compassion. Merde, c'est beau le rap parfois. 

Et nous de nous replonger après coup dans sa discographie, armé un oeil nouveau qui permet d'apprécier d'autant plus le travail d'un type extrêmement doué, humble, généreux et aux dimensions bigger than rap qui honorent ses illustres prédécesseurs. Prochaine destination pour les vacances : la Louisiane, ses bayous, ses clubs et son amour incommensurable...