Concert

Hellfest 2023

Clisson (France), le 15 juin 2023
par Guigui, le 28 juillet 2023

Si la messe française annuelle du metal extrême réservait encore une fois un programme alléchant, force a été de constater que durant les mois qui ont précédé l’évènement, on en a davantage entendu parler dans les rubriques judiciaires de la presse que dans les cases culturelles. Si l’on additionne la condamnation de Hellfest Productions pour des faits de harcèlement moral à l’encontre d’une stagiaire en 2017, les 8 mois de prison avec sursis prononcé à l’encontre de Ben Barbaud pour avoir confondu les caisses du festival avec son portefeuille pour acheter du vin et des œuvres d’art et les levées de boucliers concernant la programmation de certains groupes dont des membres se sont vu accuser ou condamner pour des faits de violences conjugales, on peut dire qu’une belle chape de plomb était suspendue au-dessus de l’évènement et de son organisation. Ajoutez à cela les allégations de complaisance à l’égard de formations proches d’une idéologie d’extrême-droite ou encore les manquements relevés en matière de prévention des violences sexuelles et vous aviez là le reste d’une recette de poudrière prête à s’enflammer.

Cette édition 2023 trainait donc derrière elle une certaine odeur de soufre et ce avant même d’ouvrir ses portes. Voilà qui posait d’emblée la question de savoir si tout cela pouvait peser sur l’ambiance générale du week-end. Le mieux était donc de s’y rendre et de prendre la température de ces 4 jours.

Photo d'illustration : David Gaillard

L’organisation et l’aménagement du site, toujours les points forts du Hellfest.

6 scènes, 60.000 festivaliers par jour, plus de 180 groupes programmés sur 4 jours, environ 5.000 bénévoles, des centaines de milliers de litres de bière écoulés, 35 000 000 € de budget sans quasiment aucune subvention... Voilà quelques chiffres qui peuvent donner le tournis et qui représentent un sacré défi d’organisation. Mais une fois encore, le festival clissonnais a su se montrer à la hauteur grâce à une équipe solide de gens compétents et hautement sympathiques véritablement au service des festivaliers. De l’amusement à la tentative de résolution de problèmes, presque rien n’est laissé au hasard.

La Team Hellwatch a été mise en place en 2022. Cette équipe mobile permet à tout un chacun, victime ou témoin, de signaler des comportements suspects d’agressions sexuelles ou de harcèlement afin qu’en collaboration avec les équipes de sécurité, la Croix-Rouge ou encore le Centre de Prévention des Violences Sexuelles, une solution puisse être trouvée le plus rapidement possible. Après une année test, il semblerait que l’équipe ait voulu trouver son rythme de croisière et tenir compte des erreurs de l’an dernier. Mais au final, ces bénévoles, dont on ne doute pas des bonnes intentions, sont-ils assez formés ? C’est en tout cas ce qu’a reproché par voie de presse l’une des association qui devait normalement être présente sur le festival mais qui a préféré se retirer pour raison d’incompatibilité de fonctionnement. En effet n’est pas travailleur à l’écoute des victimes sur le terrain qui veut. Si la démarche est louable, il semblerait que des améliorations soient encore à envisager dans le but de proposer quelque chose de réellement solide et d’aller au-delà de la solution de façade.

En ce qui concerne l’agencement du gigantesque site, il fallait encore une fois souligner le fait qu’au vu de l’étendue du terrain, il était rare qu’un déplacement d’un bout à l’autre prenne plus de quelques minutes. On ne se marche jamais dessus et à part quelques rassemblements ponctuels pour cause de concerts très prisés (The Hu qui aurait sans doute gagné à se faire sur l’une des scènes principales plutôt que dans l’une des 2 tentes), rares étaient les moments où la difficulté d’avancer se faisait sentir.

Grand changement par rapport à l’édition précédente : le déménagement de la Valley (scène dévolue au doom, sludge, stoner et styles apparentés) en vis-à-vis de la War Zone (accueillant le punk, le hardcore et ses dérivés). Un déplacement qui a du sens et permet enfin au merchandising officiel du festival de se voir doté du Sanctuary aux dimensions particulièrement dantesques devant lequel des files de 50 à 100 mètres ne désemplissait quasiment jamais.

Hellfest, Tomorrowland du metal ?

Si depuis des années, le Hellfest se démarque par des décors parfois grandiloquents, l’une des critiques entendues régulièrement est que l’évènement pourrait être désormais comparé à un Tomorrowland version métal. Une critique fondée ? Pas tant que ça au final. Si le festival flamand se caractérise par des décors ultra-chargés flirtant souvent avec le très mauvais goût, ceux du Hellfest se montrent un peu plus « subtils » si tant est qu’on puisse utiliser ce qualificatif dans un festival des musiques extrêmes. Au-delà de la beauté de certaines œuvres et de leur caractère impressionnant pour certaines (la meilleure illustration est sans nul doute la statue haute de 15 mètres de Lemmy Kilmister, leader de Motörhead, trônant depuis l’an dernier devant la War Zone), elles sont un excellent moyen de mettre en avant certains artistes au-delà du simple, mais néanmoins efficace, rôle décoratif de la plaine.

Et la musique dans tout ça ? Parce que du son, il y en a eu, et des groupes, on en a vus.

Les confirmations

On ne pouvait tout de même pas manquer le tout premier concert de ce Hellfest 2023. Ce sont les Américains de Code Orange, avec leur punk hardcore granuleux, qui s’y sont collés. Le public répondait déjà présent et même si le chanteur aime parler (beaucoup) entre les morceaux, on ne peut nier que l’entrée en matière était pour le moins convaincante.

Le nouvel emplacement de la Valley s’est vu baptisé par le trio Today is the Day et son post-hardcore d’excellente facture qui démontrait que malgré l’âge, il fallait encore compter sur des vétérans pour mettre tout le monde d’accord, et avec le sourire s’il vous plait. Dans un registre plus brutal, chapeau bas à Hypocrisy et son leader Peter Tägtgren qui aura mené ses troupes sous le chapiteau Altar entièrement acquis à la cause de son death metal malgré le mastodonte Kiss qui se produisait en même temps sur l’une des scènes principales.

De bloc, il en aura aussi été question avec Primitive Man. Enfin, il serait plus à propos dans ce cas-ci de parler d’une palette de parpaings qui vous tombe lentement dessus et vous écrase titre après titre. Avec un accordage plus bas que terre, les Américains auront sans doute offert la prestation doom industriel à la lourdeur la plus abyssale du week-end. Un concert durant lequel il ne se passe pas grand-chose mais difficilement décrochable tant il envoûte.

Full of Hell, qui a justement sorti un album collaboratif avec Primitive Man cette année sur Closed Casket Activities, se produisait sous la Altar. Et si ses compagnons de jeu jouait une carte musicale pour le moins rampante, FOH distillait un véritable bordel dans le style noise grindcore industriel chaotique. Si on a pu reprocher aux précédents un côté ultra figé sur scène, ce fut évidemment tout l’inverse dans ce cas-ci.

En restant aux États-Unis dans une catégorie lourde et lorgnant vers une certaine dissonance, c’est vers Weedeater qu’on se dirige ensuite pour du gros sludge gras d’amateurs de cigarettes qui font rire (vous l’aurez deviné rien qu’au nom du groupe). Ces vétérans de la scène, menés par leur bassiste-chanteur au panel de grimaces inépuisable et à l’instrument presqu’à hauteur des genoux, auront enchanté les spectateurs de la Valley avec leur énergie brute et pour le moins directe.

Sur cette même scène, 2 autres monstres américains du doom sludge se sont produits et on également conquis la foule, Crowbar et The Obsessed. Ces formations cultes sont souvent attendues comme le messie dans ce genre d’évènement et ne déçoivent que très rarement. Un parfum humide et enfumé se fait sentir jusque dans le son de guitare et  garantit le balancement de tête des spectateurs dans un tempo bien cool.    

Toujours dans la lourdeur mais dans le style black-death, ses meilleurs ambassadeurs avaient rendez-vous avec leur public sous la Altar. Feu, croix renversées et symbolique satanique servaient de décor d’ambiance pour le set des Autrichiens de Belphegor qui, comme à leur habitude, se montrent d’une efficacité à toute épreuve sous leur maquillage cadavérique et sanglant. Un set à la gloire de la luxure et du Malin. Un pur plaisir même pas coupable.

Aussi massif mais dans le registre du pur death metal suédois, Bloodbath aura encore une fois enchanté l’assistance amoureuse de la pédale HM-2 (cette pédale d’effet pour guitare donnant ce son gorgé de caillasses et si typique du style scandinave). Du bonheur en barre.

Si le Hellfest est désormais connu comme un festival de musiques extrêmes tous styles confondus, il faut bien se rappeler que son aïeul, le FuryFest était un évènement orienté punk et hardcore. Et ceux-ci sont toujours bien représentés sur la War Zone. C’est à cet endroit que les excellentes prestations de Black Flag et Pro-Pain ont eu lieu. L’ambiance était véritablement le maître-mot. Les 2 formations américaines tenaient le public dans la main et leurs concerts (comme la plupart sur cette scène d’ailleurs) auront été rythmés par les circle pits, toujours dans un respect et une bienveillance qui forçaient l’admiration.

Pantera aura-t-il réussi son come-back ?

Pantera, considéré pour beaucoup comme le plus grand groupe de metal des années 90, aurait pu rester un bon souvenir de nos armoires à CD après son split il y a 20 ans. En décembre 2004, Dimebag Darrel, guitariste, fondateur et véritable sculpteur du son du groupe, mourait assassiné sur scène par un « fan » lors d’un concert de son projet Damageplan. En 2018, c’est son frère, batteur et fondateur du groupe qui décédait à son tour d’une crise cardiaque. Autant dire qu’une reformation semblait s’éloigner de plus en plus et avoir de moins en moins de sens. Pantera n’aurait donc seulement pas pu mais dû rester lettre morte….jusqu’à ce que son chanteur Phil Anselmo n’annonce qu’une reformation était sur les rails pour une tournée « hommage » avec l’autre membre resté vivant, le bassiste Rex Brown ainsi que le batteur Charlie Benante (Anthrax) et le guitariste Zakk Wylde (Black Label Society). Ce dernier étant connu pour en faire des caisses, certains fans ont pu avoir des sueurs froides. C’est donc avec une très grosse appréhension que le concert de Pantera était attendu. Mais voilà, parfois les astres s’alignent et la magie opère. C’est ce qu’elle a fait dès les premières notes de « A New Level » et durant les 85 minutes de show qui ont suivi. Sous le signe du souvenir et de l’émotion, tous les hits du groupe y passent et sont systématiquement repris à l’unisson par un public aux anges qui ne retient pas ses quelques larmes de bonheur. Il n’y a rien à dire sur l’exécution qui se veut à la croisée des chemins entre le style de chaque musicien et le respect des versions originales. Pantera n’est donc pas resté lettre morte, fort heureusement.

Les découvertes

Parmi les groupes qui ont véritablement attiré l’attention et/ou scotché, notons les Américains de Candy. Ceux-ci officient dans un savant mélange de punk, hardcore, metal saupoudré de la touche powerviolence qu’il faut pour rendre le tout nerveux à souhait. Depuis l’an dernier sur le label Relapse pour leur 2e album Heaven is Here, le groupe a encore de la colère à distiller alors autant en profiter.

De la colère, il y en avait aussi chez End. Provenant du New Jersey, le groupe prend davantage le pli du grindcore à mélanger avec sa base hardcore pour cracher son message à la face du monde. Et autant dire que ça marche.

La colère a ses bons côtés musicalement parlant mais il est parfois bon aussi de découvrir des groupes plus « légers » dans la manière de faire. C’est ainsi que s’est passée la découverte surpenante de Beast In Black, groupe de heavy metal finlandais mené par un chanteur grec. Et si le style de prime abord n’est absolument pas notre tasse de thé, on se laisse très facilement emmener par ce groupe au sens du riff et de la mélodie accrocheur. Une excellente surprise.

Ce plat pays qui est le nôtre

Amenra sur une scène complètement ouverte, voilà qui titillait en même temps notre curiosité et notre peur. Moment cocasse d’ailleurs lorsqu’on entend en milieu de set les premières notes de « A Solitary Reign » sur fond de « I was Made for Loving you » joué par Kiss quelques centaines de mètres plus loin. Un face-à-face entre l’intime et le barnum pour le moins désopilant mais qui n’aura fait fléchir ni le groupe ni son public. L’ensemble de la prestation aura été portée par une aura incroyable. Un concert fascinant, magique et émouvant qui en fait l’un des grands moments du week-end. Une confirmation du fait qu’Amenra peut proposer son univers aussi bien en plein air que dans une salle plus feutrée avec le même savoir-faire.

Plaçons-en aussi une pour les Bruxellois de My Diligence qui auront, il faut bien le dire, fait forte impression. C’est une foule impressionnante qui s’est agglutinée dès les premières notes pour profiter du rock puissant et mélodique du trio qui, fort de sa récente signature sur le label français Listenable Records, obtient un atout supplémentaire pour s’exporter. Quant aux Liégeois de Pestifer ils ont su trouver leur public dès 11 heures du matin – la preuve qu’il n’y a pas de mauvaise heure pour se prendre du detah metal bien technique dans les dents.

Des déceptions et des formations qui posent question

Ce n’était au final pas vraiment une surprise, les ratages nous ont été malheureusement délivrés par des gros noms qu’on se réjouissait de (re)voir.  Hollywood Vampires en premier lieu. Si le line-up pouvait faire un peu rêver, non pas avec Johnny Depp mais surtout avec Joe Perry d’Aerosmith et Alice Cooper, le concert est d’une platitude crasse et la proposition musicale proche de zéro avec des reprises dotées …de rien. Le genre de all star band créé pour la façade qui pourrait très bien jammer sur sa terrasse au lieu de monopoliser une Mainstage.  Et puis il y aura eu Mötley Crüe. L’idée de les revoir après 14 ans avait fourni du carburant à l’enthousiasme. Mais il faut bien dire ce qui est, les Américains ont perdu en charisme ce que Vince Neil a perdu en voix. Un groupe qu’on continuera à écouter sur albums et dont on regardera de vieilles vidéos live pour se rappeler de la grande époque.

Ces 2 groupes figurent justement parmi ceux ayant fait l’objet de vives critiques par rapport à leur présence sur l’affiche. Rappelons que ces dernières années, Johnny Depp (guitariste de Hollywood Vampires) a vu son image bien ternie suite aux affaires judiciaires et différents procès ayant mis au jour ses comportements violents et problématiques envers son ex-femme Amber Heard. En ce qui concerne Tommy Lee (batteur de Mötley Crüe), il se voit éternellement englué dans ses frasques alliant consommation d’alcool et penchants violents envers Pamela Anderson. Ajoutons à cela la programmation de As I Lay Dying dont le chanteur s’est fait condamner pour avoir engagé en 2013 un individu dans le but d’assassiner son ex-femme (manque de bol pour lui, l’individu en question était flic), et ça commence à faire beaucoup pour un seul et même festival, qui n’a par ailleurs aucun mal à trouver des headliners quand il s’agit d’aller taper dans des formations dont la moyenne d’âge dépasse facilement la quarantaine d’années. Et de manière plus générale, la scène metal est suffisamment diversifiée et propose assez de choses intéressantes pour qu’on n’ait plus besoin de se taper As I Lay Dying ou Mötley Crüe, qu’importe le créneau horaire ou la taille de la scène. Si le festival se vend en 5 minutes sans dévoiler son line-up (ce qui est le cas), n’est-ce pas une fausse excuse de dire que ces groupes sont “demandés” par le public? Le Hellfest gagnerait à profiter de cette énorme confiance dont il bénéficie pour partir dans une direction qui n’implique pas forcément de programmer les mêmes dinosaures qui trainent des casseroles depuis trop longtemps.

Peu de prise de risque au niveau des têtes d’affiche.

Si le Hellfest capitalise sur l’amusement et l’ambiance, il le fait peut-être un peu trop depuis quelques années sur les valeurs sûres. Bien entendu on ne cessera de saluer le travail effectué par le festival pour faire accepter les musiques extrêmes mais il faut bien dire ce qui est, le manque d’audace du point de vue de l’affiche s’aligne sur d’autres évènements de grande ampleur (prenons comme simple exemple Rock Werchter qui encore cette année nous bassinait avec les Red Hot Chili Peppers…..un an seulement après leur dernier passage). En effet si on analyse les affiches des dernières années, on peut y constater de très nombreuses répétitions et peut-être encore plus en ce qui concerne les headliners. Mais ce qui est intéressant ce sont les interrogations que posent de telles démarches qui de l’extérieur peuvent paraître simplistes.

La première est la question de savoir si des têtes d’affiche « nouvelle génération » seraient capables d’attirer la foule. En effet, le temps passe, l’âge des musiciens cultes augmente et il y a fort à parier que des groupes cultissimes comme Iron Maiden, Metallica ou Def Leppard ne puissent plus assurer pendant encore 20 ans ou plus. Certes il y a encore bien des Slipknot ou Gojira mais rappelons tout de même que ces derniers trainent déjà un quart de siècle d’existence derrière eux. À part Ghost, qui pourrait assurer une réelle tête d’affiche « jeune » rameutant plusieurs dizaines de milliers de personnes à une heure de grande audience ?

La seconde question est celle du pourquoi ces éternels recommencements. Ben Barbaud disait, dans une interview donnée au magazine français Rock Hard à l’été 2021, que la grande force du Hellfest était son public ultra-fidèle. L’organisation ne devrait-elle pas capitaliser sur cette fidélité en gonflant quelque peu son affiche de plus de découvertes ou de formations émergentes plutôt qu’avec des groupes qui viennent pour simplement faire le boulot auquel ils sont rompus parfois depuis des décennies ? Bien entendu, ces prestations sont généralement très plaisantes à (re)(re)(re)(re)voir mais un festival, qui soit dit en passant est l’un des plus gros rassemblement européen, ne devrait-il pas proposer davantage de découvertes, et pas seulement entre 10h00 et 12h00 ?