Concert

Dour Festival 2022

dour, le 15 juillet 2022
par Jeff, le 10 août 2022

Ces dernières années, malgré un niveau de fatigue digne d’un double Iron Man, il y avait toujours cette envie irrépressible de coucher sur papier nos impressions consécutives à la bamboche XXL qu’est le Dour Festival. Cette année, ce fut quelque peu différent. 

Pas qu’on ait passé du mauvais temps en terres hennuyères. C’est même tout le contraire : le plaisir de retrouver un site qui ne nous fait pas regretter son prédécesseur, son ambiance unique dans le circuit des festivals européens et son public qui l’est tout autant était total. Disons plutôt que nous avons eu le sentiment que, malgré énormément de jolies choses à dire, il en avait manqué plein de petites pour rendre cette édition réellement mémorable. Est-ce grave ? Absolument pas. Ça fait même partie du jeu.

Et puis nous ne sommes pas complètement teubés : avec 250 noms à l’affiche, nous sommes conscients que notre impression globale est tributaire de certains choix que nous avons posés au cours de ces cinq journées fort chargées. Mais pas que, comme nous allons essayer de vous l’expliquer. C’est parti pour notre compte-rendu d’un festival qu’on aime toujours d’amour.

 

 

Dour, victime de la guerre des headliners? 

Il ne faut pas être un·e fin·e connaisseur·euse de l’écosystème culturel belge pour attester qu’en termes de programmation pure et dure, le Dour Festival est peut-être l’un des grands perdants de cet exercice 2022, au bénéfice des Ardentes, qui vont intégrer le club fermé du Big 5 aux côtés de Rock Werchter, Tomorrowland, le Graspop et le Pukkelpop

Les raisons qui expliquent cette raréfaction de grands noms sont variées : des cachets qui augmentent encore et toujours, des festivals qui continuent de se créer comme si la taille de notre portefeuille était extensible, un jeu de la surenchère que Dour a bien raison de ne pas cautionner, des headliners américains qui voyagent encore trop peu dans un contexte incertain, ou des alliances qui portent préjudice à ceux qui n’en sont pas – le rapprochement entre les Ardentes et les agences de booking Back in the Dayz et Greenhouse Talent est un secret de polichinelle. 

Quand on parle de têtes d’affiche aux abonnés absents, on ne vise pas que la seule scène principale, où l’on aura heureusement eu droit à quelques prestations mémorables : on pense à la tigresse Rico Nasty, à la valeur sûre Roméo Elvis ou à un Loyle Carner qui a enfin retrouvé le sourire après une période difficile. Et comment ne pas évoquer la performance taille patron d’un Laylow qui a fait honneur à son statut de très grand monsieur du rap français avec un show qui aura réussi à allier simplicité, efficacité et humanité. 

En réalité, le problème s’est plutôt situé du côté de la Boombox ou de La Petite Maison dans la Prairie : ces tentes énormes (9.000 et 8.500 personnes respectivement) ont été régulièrement surdimensionnées pour les artistes qui s’y produisaient – à de très rares exceptions près, on ne les a jamais vues pleines à craquer, comme c’était souvent le cas par le passé. 

Une notoriété pas toujours en adéquation avec la taille de la scène conjuguée à une billetterie qui tirait un peu la langue ont parfois influé négativement sur ce qui a toujours fait la valeur ajoutée du festival : son ambiance. Il fallait alors des prestations hors du commun pour transcender un public qui avait parfois un peu de mal à l’allumage. Certes, des artistes comme Squarepusher, Metronomy, Hamza, Mansfield TYA ou Odezenne ont su se montrer à la hauteur, mais il faudra peut-être revoir la copie dès 2023 pour éviter l’enchaînement des concerts « juste biens ». Et ça doit commencer par une réflexion sur la taille des scènes. Sauf si le Dour Festival en est le propriétaire… 

Un retour aux fondamentaux, un peu par la force des choses 

Conséquence logique d’un line-up à la diète, le Dour Festival se devait de montrer qu’il reste une référence européenne en matière de découvertes et de choix capables de challenger les curieux·ses. Dont acte.

Cette année, c’est à la marge et à des heures moins indues que d’habitude qu’on a pu trouver notre bonheur. D’abord du côté de la Rockamadour, programmée par ces inlassables têtes chercheuses de Kiosk Radio, où nos certitudes ont pu être constamment secouées par des sets d’une vitalité et/ou d’une originalité revigorantes : gros cœur avec les doigts pour l’electro-funk décalée de Gary Gritness ou la dose de UK bass culture administrée par Yung Singh

Gros cœur aussi pour Lefto, dont les choix auront été une fois encore impeccables, avec un shout out tout particulier au génial batteur jazz Makaya McCraven ou au Français LB aka Labat, dont les coups de butoir house ont mis quelques organismes à rude épreuve. Même si on a pu voir l’impression que les Ardentes avaient tout raflé (ce n’est pas une impression), on a pu voir de très chouettes choses en rap : Benjamin Epps, Hamza, Stikstof, Makala, Naya Ali ou le showcase improvisé des Zushi Boyz (aka JJ & Caba) devant l’entrée du site ont prouvé qu’un autre rap était possible, et que c’est à Dour qu’il devait avoir sa place.

L’autre conséquence heureuse d’une situation qui l’est un peu moins, c’est que le public a pu constater combien il peut être fier d’une scène locale à laquelle il s’intéresse encore trop peu, ou à l’endroit de laquelle il nourrit de gros préjugés. Si la nouvelle scène jazz belge était une nouvelle fois dignement représentée (avec des prestations remarquables de Commander Spoon, ECHT et TUKAN, notamment), on a pris de sérieuses claques devant Charlotte Adigéry & Bolis Pupul (LA success story de 2022), Bothlane (projet solo du batteur des Brums à la croisée des chemins entre techno, kraut et musiques afro), Smahlo et Avalanche Kaito qui démontrent toute la diversité d’une scène belge qui mérite mieux qu’un succès poli.

Le rock à Dour, pas tout à fait mort mais à l’agonie quand même

C’est bien connu, le Dour Festival structure sa programmation autour des grandes tendances du moment, et c’est pour ça qu’on l’aime. En ce sens, toute la programmation de la Chaufferie aura été un bel exemple à suivre, et une montée en puissance permanente qui aura eu pour point d’orgue une journée du dimanche clôturée dans l'hystérie la plus totale au son des Casual Gabberz

Dans cette optique, il est tout à fait compréhensible que les guitares ne soient plus une priorité pour un festival comme Dour, qui a tout intérêt à miser sur le rap, la musique électronique ou le revival trance pour rester fidèle à son ADN – et le succès de concerts comme ceux d’ascendant vierge, Shygirl ou la doublette partiboi69/Danny L. Harle est là pour en attester. 

Ceci étant dit, un tel traitement de défaveur pour le rock n’était vraiment pas nécessaire. Perdu dans une programmation où elles n’avaient absolument pas leur place, les guitares n’ont jamais semblé aussi ringardes que lors de cette édition 2022, avec des groupes pourtant passionnants (black midi, Los Bitchos, Bryan’s Magic Tears, Molchat Doma) qui ont dû se coltiner un Labo peuplé de quelques centaines de résistant·es, avec ses airs d’enclos protégé où observer des boomers dans leur habitat naturel. 

Le rock n’est pas cool, et ce n’est pas grave. On peut même déjà vous dire qu' il retrouvera les faveurs d’un public jeune plus vite qu’on le croit. Mais quitte à mettre des guitares dans sa programmation, le Dour Festival aurait pu le faire de manière un peu plus volontariste, avec des groupes et artistes capables de fédérer autour d’une programmation audacieuse. Ce qui nous amène à nous demander pourquoi la journée réservée au métal alternatif, qui faisait le plein de spectateur·rices, a complètement disparu des radars… Triste, à tout point de vue.

 

 

Moins de Balzaal, plus de tout le reste 

C’est désormais une rengaine, mais ça risque de devenir un running gag : chaque année depuis sa création, et surtout depuis la réorganisation du site, la Balzaal cristallise les critiques – de celles et ceux qui n’y ont pas établi leurs quartiers évidemment, les autres étant tellement conquis qu’on est prêt·es à parier qu’il rêvent secrètement d’un pass à tarif réduit qui leur donne accès à cette seule scène du festival. 

De par son gigantisme et son côté « un sapin de Noël en été », la Balzaal est un aspirateur à festivalier·ères – d’ailleurs, celle-ci ayant perdu son sponsoring Red Bull, on conseille au Dour Festival d’aller frapper du côté de chez Dyson, histoire d’avoir un naming de scène totalement en phase avec ses ambitions. Par ailleurs, on a le sentiment qu’elle aspire également une bonne partie du budget, pour un résultat qui rend la structure plus importante que les DJ’s qui s’y produisent. 

Aussi, on aurait aimé que La Petite Maison Dans La Prairie, qui a accueilli des DJ’s aussi dingues qu’Avalon Emerson, Palms Trax ou un Joy Orbison bluffant de technique, puisse elle aussi se draper d’apparats à la hauteur des personnalités qu’elle accueillait. Évidemment, il est beau de voir 15.000 personnes s’ambiancer comme jaja sur des sets de Laurent Garnier, I Hate Models, Monika Kruse ou Carl Cox, mais il est regrettable que la pollution sonore et visuelle engendrée par l’infrastructure nique légèrement l’expérience de celleux qui n’ont pas envie d’y mettre les pieds – surtout s'ils se trouvaient dans la Boombox, bien trop proche de la Balzaal. Ceci étant dit, tout n’était pas à jeter : sa scénographie était, une fois encore, dingue, et sa programmation objectivement de qualité supérieure, et digne d’un festival qui ne donne que dans la musique électronique. Puis il faut féliciter l’équipe de Dour d’avoir « osé » réserver une journée entière de sa programmation à des artistes qu’on n’aurait jamais pensé y voir. Fallait-il y deviner une main tendue aux rageux ? En tout cas, l’enchaînement DC Salas / Logic1000 / Motor City Drum Ensemble / Folamour a été une franche réussite, et a apporté un peu de douceur dans ce qui ressemble parfois plus à un octogone de l’UFC qu’à une scène de festival.

 

 

Une orga au poil mais qui panique un peu quand ça crame 

Comme chaque année, les nombreux·ses bénévoles ont veillé au grain pour que tout se passe bien, avec un accent plus appuyé que jamais sur l’écologie. Résultat des courses : le festival ne s’est jamais transformé en poubelle géante comme ça a pu arriver dans le passé. À ce titre, on doit se féliciter de l’évolution des mentalité des festivaliers, mais également féliciter les très nombreux·ses ramasseur·ses de déchets, bénévoles ou non, qui s’activaient sur le site, et en particulier sur cet énorme désert qui entourait la Balzaal. 

D’ailleurs, cette immense esplanade a permis de séparer certaines scènes du reste de l’écosystème, et il est regrettable que certains spots donnent l’impression de devoir exister en dépit du bon sens. Surtout qu’on parle de scènes aux programmations plus confidentielles comme la Rockamadour et le Labo. Ne faudrait-il dès lors pas les déplacer pour leur faire gagner en visibilité ? Et, tant qu’on y est, pourquoi ne pas rapprocher Le Labo, le Rockamadour et la Chaufferie pour créer un véritable espace dédié à la découverte et à l'expérimentation ? Par ailleurs, le site s’étant encore agrandi, on conseille aux têtes pensantes du festival de revoir sa signalisation, qui nous a trop souvent donné l’impression d’être dans un mauvais épisode de “Vis ma vie” - s/o Flavie Flamant.

On regrette aussi le manque d’anticipation des températures caniculaires, avec l’insuffisance de véritables zones d’ombres et l’absence de points d’eau dignes de ce nom – si on a l’estomac trop sensible pour s’abreuver aux robinets à côté des WC. Devoir payer 3€ pour une demi bouteille d’eau, sans avoir de véritable alternative pour ne pas finir aussi sec et desséché que Balkany en sortie de zonzon, ça fait quand même mal au porte-monnaie. Enfin, dernier point et non des moindres, les toilettes qui fermaient une heure avant la fin de chaque journée, c’était sans doute pas la meilleure idée pour assurer un traitement égalitaire entre les meufs qui ne pouvaient plus aller pisser tranquillement et les mecs qui pouvaient continuer à se soulager dans les urinoirs tout peinards.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : même si on peut penser de ce compte-rendu qu’il ne met que le négatif en exergue (ce que nous réfutons), nous conservons une affection et une admiration absolues pour un festival et une équipe qui, en dépit de conditions souvent compliquées, ont su rester droits dans leurs bottes et fidèles à leur valeur. Sous ses airs de retour à la normale, 2022 n’est clairement pas une année comme les autres. On peut même penser qu’elle laissera des traces chez pas mal de monde, et que le paysage des festivals en 2023 aura une toute autre tête. Mais on ne doute pas un seul instant que Dour y figurera toujours en très bonne place, avec une envie intacte de nous en foutre plein les mirettes. Rien que pour cela, on a déjà envie d’être l’année prochaine.