Concert

Buck 65

Paris, La Maroquinerie, le 1 mai 2009
par Popop, le 4 mai 2009

Le 1er mai, c’est bien sûr la Fête du Travail. Mais sur Paris, c’est aussi une répétition générale de la Fête de la Musique pour la majeure partie des salles - quasiment sûres d’afficher complet en ce jour férié. Et un peu comme le 21 juin, quand on se donne la peine de trainer ses guêtres aux bons endroits, les surprises peuvent être nombreuses et plutôt bonnes, entre vraies découvertes et confirmations pas forcément surprenantes mais franchement réjouissantes. La preuve par 3 à la Maroquinerie – ou plutôt par 2 ¼ en ce qui nous concerne puisque lorsque l’on pénètre dans la bouillotte sous-terraine, Flox termine son set. Difficile de juger de la musique du groupe sur seulement deux morceaux, même si cette techno teintée de rock semble plutôt efficace (à défaut d’être subtile), en tout cas suffisamment pour faire osciller un public plus à l’heure que votre serviteur.

C’est donc à un jeune homme plutôt maigrichon, flottant dans son costume trop grand et trop marron, qu’il revient de donner le ton de la soirée. Son nom, Le Chapelier Fou, ne dit sans doute pas grand-chose à grand-monde pour l’instant, mais il y a fort à parier que ce relatif anonymat ne durera pas longtemps. Car c’est une claque monumentale que cet homme-orchestre va infliger aux quelques centaines de personnes rassemblées en ce vendredi soir. Sa recette ? Quelques bidouillages électroniques, un violon et une guitare pour une musique presque exclusivement instrumentale qui vole très haut.

Si la première image qui vient à l’esprit est celle d’Andrew Bird (même manière de sampler ses boucles de cordes en live), très vite, la comparaison s’estompe pour laisser place à des vignettes plus riches et plus variées, entre les atmosphères lunaires d’Air, le folk intemporel de Beirut, l’électro futée de Röyksopp, les BO de séries Z et les courts-métrages de Charlot. A la fois singulièrement moderne et délicieusement rétro, la musique du Chapelier Fou résonne comme une invitation au voyage, une porte ouverte sur l’imagination d’un doux rêveur au sourire d’enfant et qui n’a pas besoin de mots pour mettre la Maroquinerie dans sa poche. Un personnage atypique et attachant pour une superbe découverte qui mérite d’être prolongée sur disque – son premier maxi, Darling Darling Darling, sort dans le commerce le 18 mai après avoir été distribué en catimini à l’automne. On vous en reparle très vite…

Après une telle mise en bouche, il ne reste plus à Buck 65 qu’à emballer la soirée, lui qui revient à peine plus d’un an après son dernier passage parisien dans les mêmes murs, sans album à défendre et donc sans pression. Enfin normalement, car les premières minutes de la prestation du Canadien jettent un trouble : voix peu assurée, nervosité palpable, titres joués à la va-vite et sans enthousiasme ("Dang !", "463" et "Way Back When" pliés en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire)… bref, le bonhomme ne semble pas complètement à son affaire. Heureusement, il ne s’agit là que d’un faux départ, car dès le cinquième morceau et l’annonce de la parution très prochaine d’un nouvel album (le 26 mai, autant dire demain), la mécanique se met en place et on retrouve enfin le Richard Terfry des grands jours. D’ailleurs, de mémoire de fan, on aura rarement entendu un set aussi enthousiasmant de la part du rappeur : titres majeurs réinterprétés (une version simplement hallucinante de "Centaur"), quelques classiques intouchés et jouissifs comme au premier jour ("Bandits", "Blood Of A Young Wolf", "Indestructible Sam"), quelques raretés ("Misdeed", sa collaboration avec feu-Electrelane, un extrait du projet Dirtbike) et bien sûr une poignée de nouveaux morceaux.

Et puis comme toujours, il y a ce contraste si particulier entre la noirceur des textes du Canadien, ses samples musicaux parfois kitchissimes (le croisement improbable entre "Wicked And Weird" et le "White Horse" de Wonderland Avenue) et sa présence scénique qui touche au grand guignolesque, avec une interprétation physique des morceaux si ridicule qu’elle en devient fascinante. On le sait, l’artiste ne manque pas d’humour, et ce n’est pas pour rien si les cinq titres en compétition pour une reprise qu’il compte enregistrer bientôt ratissent très large : "Johnny Come Home" des Fine Young Cannibals, "Smalltown Boy" de Bronski Beat, "The Logical Song" de Supertramp, "The Passenger" d’Iggy Pop et "Who By Fire ?" de Leonard Cohen. Sans surprise, le public parisien fait connaître sa préférence pour l’iguane, mais c’est  bien le titre du vétéran folk canadien qui fait le plus rêver – d’autant plus que Richard Terfry glisse au public qu’il a déjà une chanteuse prête à l’accompagner sur ce morceau (sans doute Olivia Ruiz, croisée à la sortie en compagnie de Mathias Malzieu et pour qui il a arrangé "Elle Panique").

Mais ce n’est pas ce projet somme toute secondaire, prévu pour un autre album à paraître en 2010 qui doit nous détourner de l’essentiel. Après 1h20 sans temps mort et un final en apothéose sur "Craftsmanship", on quitte la Maroquinerie avec l’impression d’avoir assisté à la renaissance scénique de Buck 65 – en attendant la renaissance en studio avec le successeur du seulement bon Situation. Rendez-vous dans trois semaines donc.