Concert

BRDCST 2024

Ancienne Belgique, Bruxelles, le 5 avril 2024
par thomas g, le 22 avril 2024

Chaque année, l’Ancienne Belgique (AB) propose un petit festival alternatif occupant ses deux salles pour une programmation éclectique et modérément chelou. La programmation profite allègrement de la proximité avec le festival Rewire au Pays-Bas, puisqu'une bonne partie des artistes est programmée dans les deux festivals.

Cette année, une décision étrange prive les festivaliers réguliers des deux têtes d’affiches de cette édition : il faut en effet prendre des places dédiées pour assister au concert de Autechre (en amont, le jeudi) et à celui de Oneohtrix Point Never en after, le lundi soir . Peut-être que quelqu’un d’autre vous en parlera, moi j’étais avec la plèbe le vendredi, samedi et dimanche (en plus, y avait Bérenger 2000 au Chaff le lundi soir, inratable).



Nouveauté cette année : il y a des concerts à l’église ! Comme à Rewire ! Remplaçant le Bonnefoi en troisième salle éphémère, Notre-Dame aux Riches Claires est située à un jet de pierre de l'AB. C’est là que j’y commence le festival avec le concert d’Amor Muere, le super-groupe féminin de la ville de Mexico, mené par la violoncelliste Mabe Fratti. Une magnifique première demi-heure de cordes frottées, tape loops et polyphonies… Un concert vite écourté parce que le devoir m’appelle : Meril Wubslin joue en même temps au club et il est temps de découvrir la nouvelle formule live qui accompagne leur quatrième album. Le son est un peu déséquilibré dans le club, on entend les gens discuter mais ça cogne pas mal du côté de la batterie. Le morceau de bravoure du concert c’est « Famille Phare » qui gagne en vapeurs d’opium. On passe vite fait voir le rappeur londonien Coby Sey, un des invités, tout comme Meril Wubslin, de la tête d’affiche Tirzah.

Le point cornemuse est finalement atteint assez rapidement avec l’écossaise Brighde Chaimbeul. Originaire de l'île de Sky, celle-ci joue de la petite cornemuse écossaise (qui ressemble un peu à l’instrument préféré de Jacques Puech). Seule sur scène, les morceaux mélangent inspirations du folklore locale et drones incroyables qui rappellerait presque la musique du Mkwaju Ensemble joué sur Game Boy. Une belle claque pour une musique transcendantale qui parle de cygne qui meurt en solitaire.

Puis vint Tirzah dans la grande salle, précédée par les nombreux invités de sa curation, et accompagnée sur scène par Mica Levi avec qui elle a produit son dernier album. La chanteuse de Lewisham, qui a l'air de s'ennuyer ferme, alterne petites chansons nonchalantes avec des bruits blancs bien bourrins et de la drum’n’bass lourdement filtrée. Le tout en projetant non-stop de puissants projecteurs blancs directement dans la face des spectateurs. Une expérience intense, voire inconfortable, qui frise la parodie de performance expérimentale. On n’était pas venu ici pour souffrir.



Deuxième jour. J’ai loupé The Necks à cause du capitalisme mais j’arrive quand la grande salle quand Attila Csihar (Mayhem, SUNN O)))) faisait ses vocalises lugubres devant une salle presque vide.

Encore de la folk expé dans le club avec One Leg, One Eye le projet solo de Ian Lynch, le chanteur de Lankum. On part sur un drone avec une cornemuse similaire à celle que l’on a vu hier. Des machines embrayent le pas pour tamiser l'atmosphère de gros sons continus. Peu de chant à part quelques vers tirés du trad’ irlandais et des voix enregistrées lancées sur sa SP-404 qui rappellent Godspeed You! Black Emperor. Une superbe atmosphère post-apocalyptique.

Quand vient le concert des japonais de Goat, il est temps de se rendre à l’évidence : il n’y aura pas grand monde ce soir. Le cauchemar des organisateurs qui fait le bonheur du festivalier qui peut ainsi naviguer sans encombre d’une salle à l’autre jusqu’à arriver au premier rang sans dommage. Le groupe japonais s'est lancé dans une jam dissonante sur la grande scène, avec leurs deux batteurs impliqués dans une battle de percus métalliques. Un déluge psychédélique idéal pour une bonne sieste dans les fauteuils de l’AB.

Les musiques traditionnelles et folkloriques ont définitivement le vent en poupe. Dans l’église des Riches Claires, on se retrouve face à face avec les neuf musicien.ne.s du Shovel Dance Collective, qui distillent le folklore britannique pour en extraire des thèmes queers et féministes. Ce qui donne un résultat incroyable où chant pirate et chorale impromptu s’invitent au milieu de la nef. Pour une vibe similaire, l’Ancienne Belgique remettra le couvert avec label Kraak le 5 mai pour une soirée dédiée aux derviches tourneurs.

Pour clore cette soirée sans faux pas, tout repose sur les épaules d’Alabaster DePlume, le saxophoniste chaman de Manchester. Extrêmement bavard, comme sur son dernier album en date, le charismatique DePlume jongle entre blagouille, bavardage, spoken word et envolées au saxophone. Tour à tour, il évoque le souvenir de Jaimie Branch, le génocide à Gaza et autres messages positifs sur la condition humaine. Musicalement, ça suit. Entre ethio-jazz lancinant et jazz de chambre plus porté sur l’impro. Un beau moment spirituel où les festivaliers dansent en alternant toutes les émotions à leur disposition.

Comme l’église a remplacé le Bonnefoi dans le parcours du BRDCST de cette année, la prog est de facto moins électronique que l’année dernière. Heureusement, on a droit à une petite after pépouze dans l’AB Club avec Accidental Meetings. Le collectif de Brighton mixe sans peine dub techno et rap français pour clôturer une prog de festival dont je me souviendrai longtemps.



Troisième et dernier jour pour un dimanche avec une innovation : les invitations double où l’on retrouve des musiciens qui enchaînent deux concerts avec différentes formations. Un départ toujours aussi chelou avec Lenhart Tapes qui comme son nom l'indique, triture des lecteurs cassettes et un SP-404 pour fournir de base musicale à la chanteuse Svetlana Spajić, que l'on retrouvera un peu plus tard au sein d’une deuxième formation : Gordan, où tout son flegme slave peut s’exprimer à son maximum que ce soit sur du post punk ou a capella.

Un dimanche finalement assez rock ponctué de petites pauses mignonnes mais inoffensives : la londonienne Flora Yin Wong dans l’église avec un set-up minimaliste (un mac et un petit instrument à corde, probablement une lyra). Puis Slauson Malone 1 en duo avec un violoncelliste où la dernière découverte du label Warp enchaîne cris et arpèges sur sa guitare électrique, pour finir par se lancer dans un mosh pit tout seul dans la fosse de la grande salle qui commence doucement à se peupler. Un peu plus tard, c’est encore dans l’église qu’on découvrira le trio mené par la pianiste Shida Shahabi, entre ambient et musique de film.

La star de la journée c’est la batteuse Valentina Magaletti qui a elle aussi l'insigne honneur de se retrouver avec deux formations sur la grande scène de l’AB. Magaletti qui a déjà collaboré avec la planète entière, avait notamment sorti un fantastique album solo, extrêmement mélodique, intitulé A Queer Anthology of Drums, en 2022. La première formation c’est Holy Tongue, trio vaporeux entre grosse basse dub et wah-wah psychédélique avec le producteur Al Wootton et Susumu Mukai (Zongamin). Avec des longs morceaux qui vampe la basse de Shaft et les improvisations de Darkside. Beaucoup plus expérimental, l’autre trio, c’est Moin, avec Joe Andrews et Tom Halstead du groupe londonien Raime : un glorieux mélange de rock progressif, de post rock aux accents stoner et aux accords de math rock. Toujours instrumental mais ici percé par plusieurs passages de voix off enregistrés (rappelant une fois encore Godspeed).

A deux doigts du claquage, on ne faiblit toujours pas avec le groupe Chalk, originaire de Belfast, qui joue dans le club. Encore un nouveau groupe à rajouter au bataillon du revival post-punk des îles britanniques, avec un phrasé qui pourrait rappeler Squid ou Fontaines D.C. mais un jeu de batterie définitivement plus New York (on pense à The Rapture). Plus la soirée avance, plus la musique devient binaire, il est donc logique de s’achever avec le collectif sud-africain BCUC sur la grande scène où les festivaliers tombent un à un, épuisés par le rythme endiablé des percussions.

C’est quand même dommage qu’un festival avec une aussi belle prog’ ne fasse pas plus d’entrées, surtout avec un tarif bien plus abordable que son concurrent néerlandais. Vous venez l’année prochaine ?