Concert

Blur

Wembley, le 8 juillet 2023
par Albin, le 11 juillet 2023

Lorsque Blur a annoncé le concert de Wembley, je n’ai pas hésité une seconde. J’avais déjà loupé la reformation à Hyde Park il y a une dizaine d’années. Il n’était pas question de passer une nouvelle fois à côté de la grande fiesta londonienne. Je ne les avais vus qu’une seule fois sur scène : en 1997. A l’époque, sans moyen de locomotion, cheveux bleus et première paire de Dr Martens aux pieds, il avait fallu harceler notre prof d’anglais pour qu’il emmène quatre ados au Brielpoort de Deinze applaudir ce groupe de pop dont nous avions analysé les paroles des chansons en classe. L’argument avait fait mouche et nous avions pu suer avec Damon Albarn et ses potes juste après la sortie de l’album Blur.

Jusqu’ici, mon seul concert de Blur était une sortie scolaire pas tout à fait officielle. Aujourd’hui, les cheveux bleus sont devenus gris et les hymnes de notre adolescence affichent plus de 30 ans au compteur. Le temps a balayé une bonne partie de la scène britpop. Mais Blur est toujours là. Quand le groupe débarque sur scène à 20h30 tapantes ce samedi 8 juillet, ils lancent les hostilités avec « St. Charles Square », deuxième extrait d’un album à paraître dans quelques semaines. L’ambiance est tiède, le choix est un coup de tocsin pour inviter les soiffards à quitter le bar et regagner leur siège avant l’avalanche de hits. Néanmoins, Graham Coxon est déjà au taquet et maltraite sa guitare comme au premier jour, envoyant du riff épais, non sans rappeler les ambiances des albums Lodger et Scary Monsters de Bowie. Le ton est donné, on n’est pas ici pour faire acte de présence, mais pour écrire l’Histoire.

Albarn avait manifestement besoin d’une entrée en douceur pour se hisser à la hauteur de l’événement. Profondément ému, il a décidé de ne pas rater une miette de cette grand-messe qui se déroule au fond de son jardin et qu’ils ont « attendue toute leur vie ». La température s’envole immédiatement lorsque s’enchaînent « There Is No Other Way », « Popscene » et « Tracy Jacks » qu’Albarn chante en tutoyant la fosse. Le public est chauffé à blanc et prêt pour le premier sommet de la soirée : « Beetlebum », que tout le stade reprend en chœur. La communion est parfaite.

A la basse et à la batterie, Alex James et Dave Rowntree restent sur la réserve. Ils font le taf, concentrés, mais peu expressifs, et s’en mettent plein les yeux. À la guitare, c’est une tout autre histoire. Coxon n’a jamais été aussi affûté au moment d’étrenner sa collection de grattes. Remuant, mais précis, il récite ses gammes aux influences qui pompent dans le punk et la country. Le mec s’agite, bondit, joue avec les larsens et déroule ses solos comme un ado qui imiterait ses idoles dans sa chambre. Pendant deux heures, c’est d’ailleurs l’impression qui ressort de cette prestation cinq étoiles : ces quinquas s’amusent comme des gamins. Il leur a fallu plus de 30 années pour y arriver, mais ils l’ont fait : le voilà, le sommet de leur carrière, ici à Wembley, chez eux, devant leur public.

Avec une telle équipe, Albarn aurait pu se contenter de tendre le micro et laisser ses fans prendre le relais. Il a devant lui un stade entier qui connaît chaque couplet sur le bout des doigts, prêt à s’époumoner sur chaque refrain. Mais ce concert, c’est avant tout sa fête à lui. Il l’a tellement voulu qu’il ne va pas se débiner au dernier moment. Alors, malgré ses 50 balais, le beau gosse assure le show. Son sourire pétille, sa voix n’a pas pris une ride. On a beau être à Wembley, pas de lasers, pas de pyrotechnie, pas d’effets 3D ni de décor mégalo. Blur, est là pour la musique et sert un répertoire virevoltant entre les hymnes festifs (« Parklife » en climax attendu en présence de l’acteur Phil Daniels venu tenir la réplique), douce mélancolie (« To The End », « Out of Time »), brûlots rock (« Advert ») et quelques pépites moins évidentes (« Oily Water », « Under The West Way »). Le temps d’expédier cette ineptie de « Song 2 » comme un exercice imposé, le groupe boucle le premier acte sur un « This is a Low » stratosphérique alors que la nuit tombe sur Wembley.

De retour après une courte interruption, Albarn se pose au piano et déterre une autre pépite inattendue, l’instrumental « Lot 105 », sur lequel il invite le stade à chanter son amour pour Wembley. Voilà de quoi rassasier les fans les plus pointilleux avant de balancer l’autre bombinette de la soirée : 30 ans plus tard, « Girls and Boys » n’a jamais été autant d’actualité et secoue les tribunes. Blur est en orbite, le public explose et se prosterne pour un final grandiose : « For Tomorrow », « Tender » accompagné d’une chorale londonienne, « The Narcissist », autre extrait de l’album à paraître que les fans s’approprient comme un tube des premiers jours. La soirée se termine bien évidemment sur le phénoménal « The Universal » qui s’impose comme une évidence dans un Wembley en lévitation qui reprend en chœur « It really really really could happen… » sous les lumières stellaires de deux immenses boules à facettes. Ça ne pouvait arriver qu’à Wembley et Blur était bien plus qu’à la hauteur de l’événement.

Ému, Albarn a plusieurs fois évoqué le mythe du lieu, l’entrée sur scène légendaire de Freddie Mercury, avec les yeux humides du fan qui peine à réaliser qu’il a atteint le niveau de ses idoles. En deux heures, Blur s’est assis sur le toit du monde, sommet qui culmine bien évidemment en banlieue londonienne.

La musique s’arrête, la foule hurle et applaudit à s’en péter les mains et quitte le stade calmement, comme les Anglais savent le faire quand ils sont chez eux. Une heure d’attente pour récupérer un métro, le temps pour chacun·e de réaliser avoir assisté à un bout d’Histoire. Les minutes sont longues et pour passer le temps, cette procession immobile entonne à nouveau les hymnes intemporels que sont les refrains de « Parklife » et « Tender ».

All the people…

Oh my baby…

Devant moi, un ado attifé comme un clone de Boris Johnson raconte à ses voisins être arrivé en retard à l’école le jour de la mise en vente des tickets, parce qu’il n’aurait raté cela pour rien au monde. Quand il a expliqué au directeur de l’école la raison de son retard, il a échappé à la sanction. « C’est Blur quoi… ». L’anecdote, sans doute améliorée, entre en écho avec celle des quatre ados partis voir leurs idoles avec leur prof d’anglais dans les années 90. Blur n’a pas changé, son public non plus.

Crédit photo : Facebook Blur