Views

Drake

OVO Sound – 2016
par Ruben, le 5 mai 2016
6

Abstraction faite du monstre The Life of Pablo, rarement un album de hip hop n'aura suscité autant d'attentes et d'attention. Dans les mois précédents sa sortie, Views est devenu un véritable produit culturel d'envergure planétaire avec un budget promotionnel digne d'un blockbuster hollywoodien - ce qui en fait un anti TLOP sur ce niveau-là, tant le disque de Kanye West n'a eu besoin que des quelques dizaines de tweets et l'une ou l'autre photo sur Instagram pour exister.

Ici, c'est à grands coups de billboards géants, de teasers mystérieux sur Instagram et d'exclusivités sur les plateformes musicales d'Apple (tout cela dans le cadre d'un deal à 19 millions de dollars) que Drake et son entourage ont fait monter la pression entourant un projet annoncé il y a presque deux ans et logiquement plébiscité dès sa mise en vente - 770.000 copies en quatre jours, quand même. Mais soyons clairs: la seule question qui mérite une réponse ne concerne pas quantité mais bien la qualité: au vu de son statut actuel dans le rap-jeu, le Views de Drake redistribue-t-il les cartes du rap et du R&B ?

Clairement, la réponse est non. Malgré des débuts prometteurs (l'inaugural "Keep Your Family Close" est sublime), Views s’installe trop rapidement dans une monotonie dérangeante et un enchaînement désagréable de déjà-vus: on a alors la désagréable impression d'écouter un pauvre best of ou un mauvais melting pot de ses précédents succès. 

Malgré tout, il ne fait aucun doute que Views plaira aux très nombreux fans de la première heure : ils auront le plaisir de retrouver l’époque So Far Gone sur le mielleux « The Redemption », la fraîcheur de Thank Me Later sur le mélodieux « Feel No Ways », l’honnêteté de Take Care sur « U With Me ? », l’ambiance futuriste de Nothing Was The Same sur « Weston Road Flows », le punch d’If You’re Reading This It’s Too Late sur l’infrabassé « Hype » et la cohésion de What A Time To Be Alive avec Future sur « Grammys ». Oui, tout ce que Drizzy a fait de bien dans sa carrière est présent sur Views : la maitrise du rap-chanté qui efface les barrières entre rap et r&b, l’omniprésence des prods de son BFF Noah « 40 » Shebib et enfin les textes qui racontent à sa manière sa prise de pouvoir du rap US, ses conquêtes nocturnes ou bien l’addition de quelques zéros à son compte en banque. 

Tout cela est très encourageant donc, surtout qu'a à mi-chemin, Views vire soudainement dancehall, apportant une certaine fraicheur à un disque qui commençait à tourner en rond. L’enchainement « Controlla/One Dance » incarne alors le Drake nouveau, celui qui casse les internets avec « Hotline Bling » et ses pas de danse WTF, celui qui squatte les sommets du Billboard avec Riri et son « wowowowork », celui qui flirte plus que jamais avec la pop radio-friendly (on va bouffer du « One Dance » tout l’été…). Mais qu'on soit clairs, ce n’est surement pas ça qui va sauver Views et lui permettra de dérocher le statut de classique – le « Too Good » en mode 'playa - piña colada - Rihanna' sera certainement un énième succès commercial mais n’apporte absolument rien à l’appréciation globale du projet, de même pour le titre avec le protégé PARTYNEXTDOOR.

Avec autant d’atmosphères différentes retranscrites sur un même disque, où se situe ce quatrième LP dans la discographie de Drake ? La réponse définitive viendra surement au bout de quelques mois d’écoutes. Néanmoins, on peut déjà dire qu’avec ce nouvel album, le Canadien ne fait pas mieux que Nothing Was The Same ou que Take Care. On a même l'impression que son projet pris dans sa globalité arrive à saturation, que Drake a atteint l'ultime stade de sa mutation - et dieu sait qu'il vient de loin.

En réalité, le problème de Views vient du fait que son interprète n’ose pas prendre le risque de privilégier ne serait-ce qu'une seule des nombreuses ambiances qui façonnent l’album. Sans prise de risque manifeste, l’ensemble sonne creux, alors qu'on aurait aimé voir davantage de pistes comme « Keep The Family Close » et « Summers Over Interlude » qui, portées par un orchestre symphonique bluffant, donnent un véritable souffle à une tracklist kilométrique et finalement plus prévisible qu'un championnat de Ligue 1. Au final, Drake semble ne plus savoir quoi faire de ce LP qui devait pourtant être son album signature, celui qui le rendrait définitivement intouchable.

Et tandis que les carrières de Kendrick Lamar et J. Cole suivent une progression exponentielle, le Canadien semble le premier des trois princes du rap a être lâché par le peloton en pleine ascension du Tourmalet. Qu’on soit rassurés, Drake n’est pas prêt de rejoindre le grupetto ou d'aller poser son cul dans la voiture-balai. C'est juste que Views n'est rien de plus qu'un bon petit album avec ses hauts (« Keep The Family Close », « Hype », « Fire & Desire ») et ses bas (« With You », « Too Good », « Still Here »). Mais voilà, quand on essaie de nous vendre un disque comme le nouveau Blueprint, on a la droit de se sentir floués.

Le goût des autres :
4 Jeff 7 Antoine