Tron Legacy OST

Daft Punk

EMI – 2010
par Serge, le 9 décembre 2010
5

Le scandale, c'est le buzz, pas le disque. Ceci n'est pas un nouvel album de Daft Punk et les vingt minutes mixées que l'on peut entendre sur MySpace, relativement relevées, donnent une idée totalement fausse de la teneur musicale réelle de cet album. Ceci est une bande originale de gros film hollywoodien. Et quand on s'attaque à pareil exercice, on n'a pas le dernier mot, on respecte un cahier de charges. Daft Punk chez Disney, ce n'est pas Air chez Sofia Coppola. Daft Punk sur la BO de Tron, ce n'est même pas Daft Punk sur celles des films de Gaspar Noé, encore moins sur celle de leur propre Electroma; où ils s'étaient montrés très aventureux et parfaitement classieux. Chez Disney, à la signature du contrat, on a d'ailleurs probablement beaucoup moins parlé de direction artistique (« we love what you do, guys, but do something different this time! ») que des façons d'envisager de sortir l'album des rayons spécialisés pour l'accrocher à bien davantage de sapins de Noël. Le voilà, le scandale : jouer sur le nom de Daft Punk pour vendre, vendre et encore vendre. Alors qu'en fait, il n'y a fondamentalement pas grand-chose à vendre.

La musique de film, c'est son rôle fondamental, sert ce qui se passe sur écran. Il n'est bien sûr pas rare qu'un thème musical sorte des cinémas pour s'accaparer une place prépondérante dans la culture pop, voire même dans l'inconscient collectif : James Bond, Star Wars, Le Bon, la Brute et le Truand... On a même croisé au cours de l'histoire quelques scores filmiques devenus de véritables classiques des discographies de leurs auteurs : Virgin Suicides de Air, Midnight Express de Giorgio Moroder, Superfly de Curtis Mayfield... Reste que la plupart du temps, quand l'exercice est exécuté sans grande prise de risques ni véritable transcendance du cahier de charges, la BO de film n'est pas fort vendable, ni forcément très intéressante, au-delà des cercles de geeks et des collectionneurs dont c'est la passion. La musique de film est un outil. C'est plus un métier -au sens besogneux du terme- que de l'art. C'est un domaine où, généralement, l'expression des auteurs est limitée au profit de l'entreprise globale. Il est donc vain, et sans doute même stupide, de juger une musique de film sur les mêmes critères que ceux servant à jauger un album de pop. Vain et stupide de se déclarer déçu par Daft Punk ou, au contraire, de déceler sur cette BO la confirmation du génie d'un groupe dont la ligne de conduite serait d'être continuellement insaisissable. Ceci n'est pas le disque marquant le retour de Daft Punk sur le devant de la scène, ceci est un putain de travail de commande sur un putain de blockbuster hollywoodien sci-fi/nerdy. Daft Punk ne dit rien de personnel, ne propose rien de neuf, tout simplement parce que ce n'est pas ici leur rôle. Daft Punk est ici au service d'un univers créé par d'autres, géré par d'autres. Des Américains qui n'entravent sans doute strictement rien à la house, à l'electro et encore moins à la french touch, soit dit en passant...

Aussi, la plus large partie de ce disque s'avère êtrede la musique d'ambiance comme il s'en produit beaucoup à Hollywood depuis le succès des films de Christopher Nolan. Une BO à la Inception, à la Dark Knight Returns : symphonique, exécutée par un grand orchestre, d'une tonalité très sombre. Des arpèges en spirale, des envolées très pompeuses et surtout ce gros « bouaaaaaaaaaaaahhhhhhh » récurrent et menaçant en guise de virgule émotive; déjà véritable cliché et grosse moquerie planétaire depuis son utilisation exagérée par Hans Zimmer sur Inception. De temps à autre, cette mélasse est bien sûr ponctuée par quelques morceaux plus relevés et surtout, strictement électroniques. On reconnaît là mieux la patte des Daft Punk sans pour autant qu'elle soit très évidente : en fait, c'est surtout à Giorgio Moroder que l'on pense. Là aussi, rien de très vertigineux, ni inattendu, pour accompagner un film dont le premier épisode date de 1982!

Bref, qu'avons nous ici, réellement, entres les oreilles? Du travail « hollywoodement correct » sans originalité, ni beaucoup d'intérêt loin des images. Une BO comme il en sort environ 300 par an, qui n'est même pas plus remarquable que celle des autres films cultes du moment : Machete et son rock pataud plutôt fun ou Monsters et son bel ambient signé Jon Hopkins. Du travail de commande proprement éxécuté, où la personnalité de Daft Punk est très en retrait. Rien de scandaleux, rien de révolutionnaire, pas de vraie folie et probablement pas non plus de réelle liberté. En ont-ils souffert, de ces contraintes, les Daft? Ou ont-ils au contraire pris un panard monstre à travailler dans le vortex hollywoodien; ce qui reste un rêve de gosse en soi, tout de même ? Tant que cette expérience strictement professionnelle ne se traduit pas en expression bien davantage artistique – un véritable quatrième album, donc-, il est permis de s'en foutre complètement. Mais alors, vraiment...

Le goût des autres :
7 Thibaut