The Girl With The Dragon Tattoo

Trent Reznor & Atticus Ross

Mute – 2012
par Michael, le 6 février 2012
8

La réalisation d'une B.O. est souvent la consécration ou le rêve ultime d'un compositeur en herbe. Cette ambition contamine depuis une bonne vingtaine d'années les musiciens de rock, alors que le genre était auparavant réservé, à quelques exceptions près, à des compositeurs spécialisés dans le domaine. Les groupes ou artistes produisant une musique un tant soit peu "cinématographique", lorsque la question leur est posée en interview, répondent par un enthousiasme digne d'une pucelle enfilant une paire de collants noirs pour sa première surprise partie, celle où il y aura tous les garçons du lycée, même que c'est Camille qui me l'a dit sur Facebook. Cet attrait des musiciens pour le cinéma est en fait étrange, comme si l'image animée avait besoin d'expliciter son propos à travers une bande son et que la musique, art immatériel par excellence, trouvait dans cette fenêtre une certaine forme d'accomplissement.

Nous avons tous vécu ces moments rares et magiques dans une salle obscure, lorsque l'image et la musique ne font qu'une dans une osmose qui décuple le pouvoir émotionnel de ces deux médiums. Dans ces moments-là, on se dit que le cinéma, c'est quand même une sacrée invention. En voyant le générique de fin défiler, on s'efforcera de trouver l'auteur de la bande son ou de repérer le morceau qui a fait mouche. On aura ainsi eu droit à quelques très bonnes bandes originales ces dernières années, produites par des musiciens qui auront, sans véritablement révolutionner le genre, montré que le "rockeur" a vraiment quelque chose d'intéressant à y apporter. En vrac, citons les vraies réussites de Jonny Greenwood pour There Will Be Blood, de Mike Patton pour La Solitude des nombres premiers, de Nick Cave et Warren Ellis pour les films de John Hillcoat, des Tindersticks pour ceux de Claire Denis, ou récemment de Cliff Martinez pour Drive - et de son versant officieux signé  Symmetry tant qu'on y est. 

Trent Reznor avait déjà tâté le terrain avec Lost Highway, mais davantage dans un rôle de producteur. Il y a deux ans, il s'est enfin retrouvé, avec Atticus Ross (collaborateur de NIN et membre à part entière de How To Destroy Angels, le projet parallèle de Reznor et sa compagne) à la direction de la BO du Social Network de David Fincher, avec qui Reznor avait déjà travaillé pour une relecture du "Closer" de Nine Inch Nails sur Seven. Résultat: une bande son dépouillée et synthétique, collant à merveille au talent de narrateur de Fincher, qui vaudra un Oscar à ses auteurs.  

Fort du succès de cette première commande, voilà donc le tandem Reznor-Ross de nouveau en selle, en l'occurence pour l'adaptation du premier tome de la série Millenium du défunt Stieg Larsson. On connaît l'attrait de Fincher pour le genre policier, en particulier les histoires de serial killers, comme le montrent déjà Seven et Zodiac. Ce sous-genre rebattu du polar tourne souvent facilement à la tarte à la crème, avec des ficelles tellement élimées qu'elles ne pourraient même plus servir de lacets à un cul-de-jatte. Or, Fincher a, jusqu'à présent et ici encore, évité l'écueil en proposant des versions très personnelles, plus axées sur la psychologie des personnages, les ambiances, la narration et des scénarios extrêmement fouillés que sur une chasse au scalpeur de blondes à forte poitrine. 

La triple galette proposée par Reznor contient presque trois heures de musique, soit bien plus que la durée du film. Les titres sont des versions non éditées et donc bien plus longues que les extraits que l'on retrouve dans Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes. Qu'on ne s'y trompe pas, même si l'album est crédité Reznor-Ross uniquement, c'est bien la patte Nine Inch Nails que l'on retrouve ici, en particulier celle du projet Ghosts, versant plus calme et ambient du groupe. La plupart des titres sont construits sur des mélodies simples et minimalistes, souvent égrainées par un piano préparé, un synthé cradingue ou un son mystérieux et angoissant dont le leader de NIN a le secret. Autour de ces motifs, le duo tisse et déploie des volutes et des nappes sonores graves ou diaphanes, qui vont, viennent, disparaissent, se téléscopent et réapparaissent dans un mille-feuilles du meilleur effet. On n'est plus dans le tricot mais dans la broderie délicate. Ce qui est fascinant, comme toujours avec la musique de Trent Reznor, c'est ce parfait mariage entre sons organiques purs ou traités et sonorités synthétiques et froides à souhait. La formule est entièrement maîtrisée et convient parfaitement à l'ambiance cold et gloomy de Fincher. Le résultat, puissamment évocateur, s'harmonise à merveille avec les paysages enneigés et au climat urbain très particulier de l'oeuvre.

Seuls deux morceaux chantés sont proposés : une excellentissime reprise d'"Immigrant Song" de Led Zeppelin illustrant la très belle séquence introductive d'animation, avec Karen O (Yeah Yeah Yeahs) au chant, à la fois hystérique et relâchée, et une version d'"Is Your Love Strong Enough ?" de Brian Ferry par How To Destroy Angels en générique de fin, sur laquelle on est plus circonspect, tant la voix et l'interprétation de Mariqueen Maandig sont insipides avant que le morceau ne démarre vraiment avec l'arrivée de la rythmique des arpèges et des choeurs d'Atticus. Finalement, le seul regret à l'écoute de cette nouvelle réussite signée Reznor-Ross, c'est qu'ils aient été écartés de la course aux Oscars. Quand on voit une énième fois dans cette liste John Williams ou Howard Shore, marronniers du genre, on se dit qu'ils avaient largement leurs chances.