The Beggar

Swans

Young God Records – 2023
par Albin, le 6 juillet 2023
8

Swans est avant tout un paradoxe. Formation mutante par essence, la troupe emmenée par Michael Gira présente un casting mouvant au gré des envies de son frontman. Néanmoins, malgré les remaniements internes incessants, la trajectoire de Swans n’a jamais été aussi précise. Composé en pleine pandémie et enregistré à Berlin avec une dream team à nouveau chamboulée, ce 16e album a été écrit « comme si c’était le dernier ». Si tel devait être le cas, l’objet bouclerait magistralement l’œuvre d’une vie d’un musicien qui, arrivé au firmament, se pose soudain mille questions sur le sens de sa destinée.

Dans les thématiques abordées dans The Beggar, on retrouve évidemment le sempiternel goût très relatif de Gira pour l’espèce humaine (« The Parasite ») qui nous rappelle qu’il ne sera jamais un philanthrope dans l’âme, au cas où des titres passés comme « You fucking people make me sick » ou « Human Castration is a Good Idea » n’auraient pas été suffisamment explicites. Mais cette fois, l’homme proche des 70 ans semble prêt à tout pardonner à ses contemporains au moment de rédiger son propre éloge funèbre, juste au cas où… L’exercice de mise à nu l’amène d’ailleurs à évoquer son sort à la troisième personne sur le très troublant « Michael Is Done », morceau dont l’absence de pudeur a de quoi surprendre.

Tout au long des deux heures de The Beggar, Gira adopte cette posture omnisciente, presque messianique, tant dans les textes que dans les effets vocaux, scandant ses doutes sur une trame musicale garantie 100% pur Swans. Entendez par là : des pièces grandioses, un son massif, compact, dense, des arrangements dosés avec parcimonie sur une rythmique qui invite à la transe. Détail qui n’en est pas un : les guitares ont pratiquement disparu du paysage, reléguées au second plan à de rares exceptions (« Paradise is Mine ») dans un mix essoré jusqu’à l’os. Vidée de ses accroches mélodiques, la musique de Swans en devient encore plus intense, voire charnelle, et ferait presque oublier l’absence du guitariste emblématique Norman Westberg.

Voilà certainement où se situe le vrai mérite que Swans est parvenu à construire année après année et qui jaillit tout au long de cet album : bâtir un répertoire qui prend à la gorge et malmène malgré une apparente simplicité. Bourrer ses compos de solos interminables n'aurait demandé qu’un solide bagage technique. Mais engloutir son audience en célébrant le vide et le néant requiert un talent d’orfèvre, à l’instar des productions d’autres chouchous de la rédaction tels que France ou Follakzoid.

Comme toujours chez Swans, l’ensemble se révèle complexe, comme une montagne dont on ne sait par quel versant l’escalader. Un pic dont le sommet se dérobe quand on croit enfin l’approcher, notamment lorsque surgit avant la dernière piste ce monumental « The Beggar Lover (Three) », morceau insaisissable tout en méandres qui totalise à lui seul plus de 40 minutes et qui vous traîne lentement tout au fond de la vallée que vous pensiez avoir quittée en début d’aventure.

Déconcertant dans son approche prophétique inédite, quasi testamentaire, The Beggar s’inscrit toutefois dans la lignée des albums hypnotiques de Swans, ceux qui vous transportent plus qu’ils ne vous assomment. On flirte même avec la perfection sur des titres comme « Paradise is Mine », « The Beggar » ou « Ebbing ». Malgré quelques moments en léger retrait (« Los Angeles : City of Death » ou « Unforming »), cet album exigeant, mais loin d’être inaccessible, révèle de nouveaux tourments à chaque écoute. Le disque idéal pour ponctuer une carrière mouvementée, même si on est prêt à s’agenouiller et supplier Gira de ne pas s’arrêter en si bon chemin.

Le goût des autres :