Stardust

Yung Lean

World Affairs – 2022
par Ludo, le 29 avril 2022
6

A l’inverse d’un Chief Keef qui a révolutionné le rap du début des années 2010 en lui redonnant un côté brutal et faussement régressif, Yung Lean, qui avait quasiment le même âge que Sosa, a préféré devenir l’un des premiers emo-rappeurs, né en même temps que la romantisation de la dépression sur Tumblr. Bien qu’un océan les sépare, ces deux artistes sont devenus des personnages d’internet, memables à l’infini, sans qu’on ne prenne vraiment le temps d’écouter leur musique.

Il est vrai que nous n’étions pas follement excité·es à l’idée à écouter cette nouvelle mixtape de Yung Lean, annoncée sans grand fracas et presque aucun relais dans les médias. Mais le fait que presque tous ses collègues du Drain Gang soient annoncés dans les crédits, avec à leurs côtés rien de moins que FKA Twigs et le Pope Of Brostep Skrillex, nous nous étions mis à rêver d’un gigantesque blockbuster. Certes un tout petit peu moins vendeur que ce selfie légendaire, mais qui rappellerait tout de même au monde entier pourquoi la discographie de ce Suédois au visage de bébé ne peut en aucun cas se résumer à ce qu’en font des TikTocards mal intentionnés.

Certes, l’album est éclectique, ça ne fait aucun doute, car on s’y embête beaucoup moins que sur Starz, album tristement monolithique voire carrément soporifique. Une partie de cette nouvelle mixtape intitulée Stardust aurait d’ailleurs très bien pu figurer dans la discographie fort inégale et désarçonnante de son alter ego jonathan leandoer96, vecteur de ses obsessions folk et indie rock : « Lips » et « Waterfall » en sont les parfaits exemples, puisqu’une fois écoutés nous ne pouvons dire si nous les avons vraiment appréciés, tant l’ambiance est éthérée et le chant de Yung Lean sonne faux.

Sur les morceaux où il revêt son costume de Yung Lean, l’ourson suédois prend toujours autant de plaisir à marmonner dans un anglais approximatif, quitte à contrecarrer avec humour les envolées lyriques de FKA Twigs sur « Bliss ». On pourrait même dire que parfois Yung Lean s’amuse de ses jeux de mots hasardeux en s'exclamant à la toute fin du projet : « Pocket full of beans, baby, it's Yung Lean ». Bref, il semble prendre son pied et faire ce qu’il veut : sur « All The Things » il raconte ses rêveries amoureuses avec la même énergie que s’il venait de se lever, puis la production change brutalement et prend des sonorités trance au point d’étouffer la voix. Sur «Trip » il se met à gémir d’étonnement pendant quasiment toute la durée du morceau sans jamais se dire que ça devient gênant. Sur « Gold » il se compare au Joker et programme de braquer une banque avec ses associés. Et enfin sur « Starz2theRainbow » il déconne tellement avec sa voix de tête et ses fredonnements qu’il en devient hilarant. Même quand il se plaint de sa solitude sur « Paradise Lost » et « Nobody Else », il est difficile de le prendre au sérieux, tant ses postures et ses mimiques semblent forcées et prêtent à sourire.

On a toutes les raisons de détester Yung Lean, on peut dire qu’il bénéficie de superbes productions qui compensent son manque de talent au micro, on peut retourner dix ans en arrière et fustiger ce fils de diplomate qui s’emmerde et qui éprouve le besoin de s’encanailler en copiant ses stars d’internet. Mais pourtant on continue de l’écouter, comme ce vieux pote du lycée dont on s’est beaucoup moqué par la passé mais à qui on continue de parler, parce que lui au moins c’est sûr, il ne nous laissera jamais tomber.

Le goût des autres :
7 Elie 5 Émile