Sortilège
Gabe 'Nandez
En 2025, les raisons de douter d’absolument tout ne manquent pas. Heureusement, l’exercice en cours aura aussi apporté son lot de certitudes, parmi lesquelles celles de savoir que billy woods est bien l’un des rappeurs les plus importants du temps présent, le genre de force créatrice à l’amplitude unique, propulsée par des mécaniques idiosyncratiques qui donne le sentiment que cet bonhomme-là avance probablement trop vite pour notre époque malgré un rap qui mise plutôt sur le temps long pour nous convaincre.
Mais non content de nous régaler en solo ou avec son groupe Armand Hammer (qui revient très bientôt, produit par The Alchemist), billy woods est aussi le patron d’un studio et label, Backwoodz Studio, qui ne se limite pas à sortir ses productions ou celle de son partner in crime E L U C I D, mais donne aussi sa chance à des gens encore moins connus que lui – oui, on a beau vous en parler régulièrement, son aura en dehors des cercles de sachants du double H est aussi limitée qu’un drop de chez Daupe.
Et c’est là qu’intervient Gabe 'Nandez, dont on avait complètement zappé l’apparition sur l’album le plus abouti sorti par billy woods ces dernières années. C’était Aethiopes et sur « Sauvage », il avait fort à faire entre l’intervention tout en glissade de Boldy James et la production tortueuse de Preservation. C’est justement le beatmaker basé à la Nouvelle-Orléans que retrouve Gabe 'Nandez pour tout un album sur lequel cohabitent origines américaines et tendances francophiles : Preservation est à moitié français et 'Nandez est à moitié malien, et cela s’entend dans le choix des samples mais aussi dans le choix des invités, avec une apparition du parfait inconnu Ze Nkoma Mpaga Ni Ngoko sur un « Nom de guerre » qui va peut-être rappeler à certain le rap tout en tension de La Rumeur.
C’est aussi un disque sur lequel deux ombres planent. La première, c’est celle de billy woods évidemment, dont la vision artistique infuse totalement Sacrilège. Chez lui, les ambiances sont poisseuses et claustrophobes, et ce qu’il nous raconte est plutôt du genre à filer soit un gros cafard soit une belle crise d’angoisse. Et tout cela, Gabe 'Nandez s’en inspire de façon totalement décomplexée, acceptant même que le maître vienne corriger l’élève sur « War ». Mais ce mal-être communicatif ne saurait être possible sans le travail de Preservation, dont l’impact des boucles malades sur le disque est immense. L’autre artiste à qui l’on pense assez rapidement, c’est MF Doom. Comme le regretté rappeur masqué, Gabe ‘Nandez s’appuie sur ce flow rocailleux pour sonder les tréfonds de l’âme – le sien est moins technique et verbeux, mais le rapprochement est immédiat, quoique absolument pas dérangeant.
Tient-on ici un artiste qui sort le meilleur album d’une riche carrière ou l’entame sur les chapeaux de roue ? Difficile à dire car pour être totalement franc avec vous, ce disque-là nous est tombé dessus sans crier gare, sans qu’on prenne vraiment le temps de se coltiner le reste de la discographie de Gabe 'Nandez, qu’on imagine déjà bien chargée vu la maîtrise dont il fait preuve tout au long de ce Sortilège qui aura pour seul défaut de devoir exister dans l’ombre du phénoménal Golliwog sorti quelques mois avant lui.