Omnium Gatherum

King Gizzard & the Lizard Wizard

Flightless Records – 2022
par Jeff, le 1 juin 2022
8

Récemment, à la faveur d’une critique du Skinty Fia de Fontaines D.C., nous nous interrogions sur la pertinence d’attribuer une note. Dans le cas du groupe irlandais, lui mettre un joli 9 s’est révélé moins compliqué qu’il n’y paraissait, mais ces mêmes interrogations se font jour à chaque fois qu’un album de King Gizzard & The Lizard Wizard pointe le bout de son nez.

Mais la cadence de travail frénétique et la versatilité du groupe australien rendent impossible l'appréciation des albums pris individuellement, comme de l’œuvre prise dans sa globalité. En fait, tant que le roi gésier n’aura pas abdiqué, poser un regard juste sur sa contribution au rock des années 2010 et 2020 sera impossible. Entendons-nous bien : le groupe est à ranger parmi les plus essentiels de ces 10 dernières années, mais sa tendance à annoncer un nouvel album alors qu’on n’a même pas eu le temps de digérer le précédent sont autant de bâtons jetés par la bande à Stu Mackenzie dans nos roues.

Quand on connaît un peu l’hyperactivité du groupe (on vous parle aujourd’hui de son vingtième album studio en 10 années d’existence), on imagine que la pandémie a été une sacrée purge, voire un potentiel grain de sable dans une machine si parfaitement huilée. Mais cette épreuve aura su démontrer la capacité d’adaptation de King Gizzard, notamment capable de travailler à distance pour sortir son disque le plus pop à ce jour, Butterfly 3000.

Alors pour son retour physique dans un studio, dans un élan dont on ne sait trop s’il relève de l’ambition démesurée ou du pur trolling, King Gizzard & The Lizard Wizard nous a sorti « son album blanc à lui ». En réalité, et comme son titre le confirme, la base des sessions d’Omnium Gatherum a été un ensemble de titres qui n’avaient pas trouvé leur place sur les précédents albums du groupe, qui aurait simplement pu les entasser sur une compilation sans âme et sans saveur. Sauf qu’avec ce matériel de départ, la fine équipe de Melbourne est parvenue à façonner un album abouti et cohérent, et qui jamais ne franchit les limites du bon goût – même quand il s’essaie au hip hop de façon un peu maladroite. Face à un tel tour de force stylistique, penser à Melon Collie & The Infinite Sadness des Smashing Pumpkins est autorisé.

Habitué à ne pas faire les choses à moitié, KG&TLW nous a pondu un disque qui affiche plus de 80 minutes au compteur. Pourtant, la plupart des 16 titres sont sous les 4 minutes. Mais il faut dire qu'Omnium Gatherum s'ouvre sur un morceau de 18 minutes, qui est à ranger parmi les plus grandes réalisations de KG&TLW – et de 2022. Démonstration de sa force de frappe phénoménale et bombe qui se hisse au niveau de « Head On / Pill », « The Dripping Tap » est un marathon garage-psych – mais un marathon qui se court comme un sprint. Autrement dit, après 5 minutes, on se demande comment le groupe va tenir la cadence, pour l'implorer de prolonger le plaisir après 18. Si un titre résume bien l'état de grâce dans lequel évolue le groupe depuis quelques années, c'est celui-là.

Ailleurs sur Omnium Gatherum, le groupe s’en va marcher sur les plates-bandes du Tame Impala de Lonerism (« Magenta Mountain »), convoque à nouveau ces influences thrash qui rendait Infest The Nest si délirant (« Predator X »), affiche des niveaux de coolitude à faire passer Mac DeMarco pour ton tonton boomer (« Presumptuous ») ou se montre capable de commencer un titre à la façon d’Animal Collective pour le terminer sur un feu d’artifice digne des Oh Sees (« Evilest Man »). C'est complètement dingue,

On le répète : il est extrêmement difficile de juger la valeur réelle de ce double disque tant on en a 19 autres qui s’amusent à saper notre capacité de jugement. Mais une chose est sûre : écouter un disque comme Omnium Gatherum, c’est se dire qu’on a une chance folle de vivre à la même époque qu’un groupe aussi généreux, talentueux et humble que King Gizzard & The Lizard Wizard.