Nymph

Shygirl

Because Music – 2022
par Ludo, le 24 octobre 2022
8

C’est peu dire qu’on l’attendait, ce premier album de Shygirl, figure de proue d'une pop expé nourrie au grime et à la deconstructed club music, et qui semblait commençait à sortir de l’underground londonien en collaborant avec FKA Twigs et Mura Masa. Mais alors, que vaut vraiment cette irrévérence lorsqu'elle a l'occasion de s'exprimer sur un plus long format ? Est-ce la liberté rêvée pour exploiter au maximum son univers singulier, ou est-ce plutôt le cadeau empoisonné qui risque de diluer son caractère bien trempé ?

Rassurons-nous tout d'abord au sujet de son authenticité : avec un album intitulé Nymph, probablement en référence à l'appétit libidinal jamais rassasié de Calypso dans l’Odyssée, Shygirl ne fait pas dans la dentelle et assure ce côté lubrique à grand renfort de ballades poilantes (« Shlut » et son fameux « Woke up feelin' like a slut, yeah, I like that ») et de bangers enivrants (« Nike », hymne digne des meilleures bacchanales romaines). Chez Shygirl, le sexe devient un bien de consommation rapide (« Big snack, Big Mac, hit him with the cardiac ») et addictif (« Sex therapy, I can come if you wanna hit repeat »). Et comme d’habitude avec la fondatrice du collective Nuxxe, il se dégage de sa musique une forme de puissance qui nous fait nous sentir tout petit, comme écrasé par ces basses vrombissantes et cette voix chaude. 

Reste maintenant à savoir si le long format était une bonne idée pour une artiste dont on pouvait douter de la capacité à exister autrement que sur single. Mais comment ne pas se réjouir que Shygirl profite de ce format pour tenter de nouvelles choses, se mettre en danger aussi. À dire vrai, en écoutant l'attendrissant « Coochie (a bedtime story) » ou le vaporeux « Wildfire », il nous est arrivé de nous demander ce que nous faisions là, à la recherche des salaces saillies qu'on nous avait promises. Plus intéressants encore sont les morceaux où Shygirl parle d’attachement, de solitude et de rupture, comme sur ce « Come For Me » propulsé dans la stratosphère par la production aux accents reggaeton d'une Arca comme à son habitude en très grande forme. Shygirl y évoque une crise existentielle qu’elle pourrait seulement combler en sortant avec la personne à qui elle s’adresse dans le morceau. Cette dépendance amoureuse s’illustre également au travers de « Firefly », magnifié par cette production scintillante et UK Garage de son BFF Sega Bodega. Et puis, sur « Poison », elle transforme cette fêlure en carburant de sa jalousie. Tout cela est à la fois torturé et cruel, comme sur le minimaliste « Missin U » où on la devine le regard sombre en train de se lamenter de la perte de son partenaire qu'elle essaye tant bien que mal de ressusciter dans les bras d'autres proies.

Plutôt monolithique sur ses thématiques, Nymph révèle toute sa richesse dans la façon dont il fait exister les nombreux influences qui font l'ADN de Shygirl. Surtout, il consacre cette capacité qu'à l'artiste anglaise a entrer en symbiose avec les producteurs avec qui elle fricote. C'est bien simple : tout cela est tellement bien exécuté, avec ce qu’il faut de réminiscences de la musique des années 2000 pour entrer en résonance avec la vibe de 2022, que ça en devient tout bonnement fascinant.

Le goût des autres :