Mignon
Peet
L’esprit de clan, l’effet de masse, l’euphorie générale. Voilà autant de justifications pour nos comportements les plus délirants ou incompréhensibles. Et on peut légitimement penser que les trois membres du 77 se sont souvent monté le bourrichon pour donner à leur rap une dimension festive et éminemment gogole, et dont le surréalisme de certains concepts qui leur servent de moteur en font peut-être le plus belge des groupes de rap du Royaume. Une déconne permanente qui était autant la force que la faiblesse du trio, incapable de se projeter au-delà du tissu de joyeuses conneries qu’il déroulait à longueur d’année, pour le plus grand bonheur d’une fanbase certes restreinte, mais qui les a toujours suivi dans ce délire qui fait un bien fou quand il était vécu dans les bonnes conditions.
Si on utilise l’imparfait pour parler du 77, c’est parce que le projet a appuyé sur « pause » pour une durée encore indéterminée. Tandis que Félé Flingue met actuellement ses skillz de bawler au service du service public, le producteur Morgan et l’autre MC Peet ont décidé de faire comme tout bon artiste qui se retrouve orphelin de ses frères d’armes : sortir un projet solo. Et si le disque qui nous occupe aujourd’hui a été globalement écrit avant le début de la pandémie, c’est Morgan qui dégainait le premier avec Fleurs confinées à la fin de l’année dernière. Un EP touchant et profondément mélancolique, plus proche de la chanson française que du rap. Et surtout une excellente surprise. On ne sait trop l’influence que l’un peut avoir sur l’autre, mais le constat est sans appel : Peet lui aussi a voulu surprendre son auditoire. Et bordel, que ça fait du bien.
Sur Mignon, Peet ouvre (enfin) son cœur après toutes ces années à amuser la galerie et s’entoure de ses potes les plus proches pour mettre en musique un disque qui met un point d’honneur à ne jamais trop en faire, à toujours rester dans une forme de retenue qui révèle toutes les failles de celui à qui le costume de clown triste du rap belge va finalement à merveille. En termes d’influences, on retrouve certes les ingrédients qui servaient de base à la recette du 77 (on pense à Tyler, The Creator, à l’écurie TDE et au G-Funk), mais ici, afin d’être mis au service d’une démarche artistique qui ne cache à aucun moment ses velléités thérapeutiques, jamais Peet n’en abuse.
On n’a jamais douté que le Bruxellois était comme nous tous : un humain perclus de doutes et de fêlures. Mais ceux-ci se dévoilent avec une honnêteté qui fait trop souvent défaut dans le rap. Conscient qu’il faut assumer jusqu’au bout sa démarche pour être convaincant, Peet opte pour la simplicité désarmante, qu’il allie à une certaine candeur – « Pierrot », « Rêves » ou un « Remords » sublimé par le refrain d’un Morgan plus touchant que jamais sont de bons résumés de l’ambition portée par Mignon. Mais comme Peet sait également manier humour et autodérision, cela donne aussi quelques moments hilarants qui servent de respiration au disque – les constats qu’il dresse sur lui-même (« Flemmard de qualité ») ou sur sa génération (« Keke ») sont aussi grinçants que savoureux. Et quand humour et vague à l’âme fusionnent, cela donne « 17 », meilleur titre de l’album qui évoque frontalement la disparition de la mère de Peet sur une production chaloupée – après la bamba triste, c’est l’heure de la zumba triste.
Pour faire une analogie cinématographique, Mignon, c’est un peu un Tchao Pantin à l’échelle du rap belge. Ou plus proche de nous, c’est l’horripilant (sauf dans Zohan, TMTC) Adam Sandler qui épate dans l’anti-romcom Punch Drunk Love de Paul Thomas Anderson. Bref, c’est une excellente surprise et, on l’espère, le début de quelque chose qu’on souhaite encore plus grand, encore plus ambitieux.