Leyfdu Ljósinu

Hildur Gudnadóttir

Touch – 2012
par Simon, le 20 juin 2012
8

Rencontrer la musique d’Hildur Gudnadóttir est l’une des plus belles choses qui nous soient arrivées ces dernières années. Peut-être parce que jouer un modern classical si intense a quelque chose d’anachronique dans une époque où tout va vite, où tout se consume aussi vite qu’on le consomme. De toute manière, on était quasiment obligé d’aller vers cette musique. D’abord et avant tout car nous sommes des fanatiques du label Touch Music, référence indiscutable de l’expérimentation sonore et de la beauté tonale. Connue internationalement pour être la partenaire idéale pour qui souhaite un accompagnement de qualité supérieure au violoncelle – on pense notamment à Pan Sonic, Animal Collective ou Ben Frost – c’est véritablement sur disque qu’on est tombé amoureux de la belle au nom de bûcheron.

On la découvre avec le magnifique Without Sinking, déjà sur Touch, où Hildur nous a littéralement pénétré (…) avec une vision unique du concerto pour violoncelles : lent, spatial et infiniment triste, le modern classical d’Hildur Gudnadottir envoûte avec sobriété. De là, une flopée de prix en tous genres, une réputation qui gonfle et une humilité qui semble être la constante dans une carrière qui n’a pourtant pas peiné à démarrer. S’en suivra un deuxième album, Mount A – originairement le premier de sa carrière – qui continuera de magnifier ce sens de l’attaque sur les cordes et cette obsession pour le tournoiement sonore. Enfin, ce qui nous intéresse ici est quelque peu différent. Quelque peu seulement.

Troisième disque pour la jeune Nordique, qui décide cette fois de capter son art au vol, dans les conditions d’une pièce live ininterrompue. Pas d’overdub, pas de retouche post-op’, tout est dans la performance : ça passe ou ça casse. S’il n’y a que deux titres sur ce Leyfdu Ljosinu – littéralement «qui autorise la lumière » - on ne saura qu’être élogieux à propos des trente-cinq minutes que couvrent le magnifique titre éponyme (le premier titre, « Prelude », étant une jolie introduction de quatre minutes dans un genre bien connu de l’Islandaise).

Alors qu’elle tenait une patte musicale prête pour durer des siècles, Hildur Gudnadottir va se mettre en danger en troquant une matérialité contre une autre. De son emprise sur des cordes franches, l’Islandaise va se déplacer cette fois sur le terrain du drone. Leyfdu Ljosinu va encore plus en s’étendant, tisse un réseau fort entre électronique tonale et véritable chaleur acoustique. Dans les quinze premières minutes, le drone monte, presque sans attaque sur cordes, avec un chant effilé et intégré dans la masse sonore. Et puis il y a ces vingt dernières minutes qui nous laissent tout simplement sur les fesses : les cordes virevoltent, la gravité est à tous les coins de notes. Le magma sonore augmente sans cesse, avec un ratio puissance/lenteur dont elle seule a le secret, jusqu’à atteindre l’insoutenable émotionnel dans les dernières minutes. Le disque s’arrête, et il nous faudra plusieurs minutes avant d’ouvrir la bouche. On se contemple alors très loin de nous-même, bien conscient que ce disque a quelque chose d’exceptionnel. Peut-être son meilleur disque.