Leucocyte

Esbjörn Svensson Trio (E.S.T)

Act – 2008
par Franck, le 27 janvier 2009
10

Enregistré en seulement deux jours à Sydney pendant leur tournée australienne, Leucocyte est l’album testament du trio d’Esbjörn Svensson : le Suédois est hélas décédé lors d’un accident de plongée au large de Stockholm le 14 juin 2008 à l’âge de 44 ans. Il aura clairement marqué le jazz des années 90-2000. E.S.T, c’était tout d’abord un trio accessible au plus grand nombre. Influencé par Keith Jarrett mais aussi par Tortoise, Esbjorn Svensson, accompagné, il faut le souligner, par deux excellents musiciens Dan Berglund (basse) et Magnus Öström (batterie), n’était pas un jazzman au sens où on l’entend communément. Il a ouvert le genre musical à un public plus réceptif au rock ou à la pop. Radiohead faisait ainsi partie des groupes de référence du trio. Ce côté atypique a valu à E.S.T un succès grandissant non seulement en Suède, mais très rapidement dans le monde entier.

Leucocyte est donc, par la force des choses, le testament musical de Svensson. La part d’affectif qui peut entrer en compte lorsqu’un artiste majeur vient à disparaître brutalement (juste après avoir validé la jaquette du disque dans ce cas précis) peut parfois fausser le jugement de son œuvre. A en juger le nombre important de chroniques, dans la presse spécialisée (ou non d’ailleurs), qui a suivi la mort du pianiste, difficile de dire si Leucocyte est un hommage à sa carrière ou une simple critique de sa dernière œuvre.

Leucocyte est composé de deux parties : la première fait la part belle à des ambiances calmes, peu visuelles et peu rassurantes. Nul doute que cette première partie est difficile à appréhender. Des titres comme "Still" (un des morceaux phares de l’album) ne se laisse pas dompter à la première écoute. Pourtant, persister sur ce début d’album engendrera à terme des surprises plus qu’agréables pour l’auditeur. La seconde partie est, elle, composée d’un (faux) quadriptyque nommé "Leucocyte" : "Ab Initio", "Ad Interim" (silence d’une minute), "Ad Mortem", "Ad Infinitum". La vie et la mort d’un globule blanc version piano/contrebasse/batterie en quelque sorte. Cette deuxième partie est plus abordable pour un public éclectique: mélodies plus rapidement identifiables, compositions intenses, usage de sons parasites à travers un transistor, sons électroniques. On rejoint l’esprit post-rock de Tortoise et consorts. "Leucocyte Ab Initio" impressionne par son amplitude et sa puissance. Le thème est d’un lyrisme futuriste foudroyant, d’une intemporalité incontestable. Quant à "Ad Mortem", c'est une bizarrerie sonore, conclue par un piano éthéré évoquant des gouttes d’eau s’écrasant sur une feuille.

Leucocyte rompt avec les disques précédents : le groove est moins présent. Moins rapide, E.S.T joue plus la carte du lyrisme. Cela aurait pu sonner faux et vulgaire, et donner du bon sentiment à en vomir. Ce n’est pas le cas. Esbjörn Svensson semble s’être retrouvé seul avec lui-même à des milliers de kilomètres de son pays natal pour accoucher d’un disque majestueux. Cet album est essentiel. S’il ne devait y avoir qu’un disque…

Le goût des autres :
7 Julien