J.U.S.T.I.C.E. For All

J.U.S.T.I.C.E League

Luxury Sound Society – 2016
par Aurélien, le 27 janvier 2016
7

Même si c'est souvent l'image renvoyée, le rap ce n'est pas qu'une bande d'emcees aux égos surdimensionnés. Le rap, ce sont aussi de vrais musiciens qui tentent d'exister dans l'ombre de cette bande de mégalos. Et aujourd'hui, pour s'imposer durablement, le beatmaker a droit au parcours du combattant vu qu'à l'ère d'Internet, les beats se refilent comme des meubles sur Le Bon Coin. Un terrain piégeux et une longue route pour ceux qui nourrissent l'espoir secret d'offrir un jour leurs services à des gens comme Ellie Goulding ou Katy Perry.

Dans ce contexte, il n'y a pas de voie royale: il faut cultiver sa différence. Il y a ceux qui misent sur une signature feignante mais identifiable, et qui te torchent dix prods par jour - dont la moitié finira dans le top 50. C'est l'école DJ Mustard, avec ses bons côtés. Et aussi ses moins bons aussi, ceux-là même qui font de l'ombre aux vraies pointures de studio, celles qui connaissent leurs gammes et qui sont capables d'insuffler une vraie vibe a tout ce qu'elles touchent. A l'ère où le laptop est l'instrument de référence, trouver des gens qui maîtrisent autant les 'vrais' instruments que le logiciel Fruity Loops est une gageure. On peut parler d'une espèce en voie d'extinction.

Il y a bien quelques irréductibles, à l'instar de notre Aelpéacha national ou de DJ Quik. Mais quand il s'agit de citer des newcomers, c'est tout de suite moins évident: on ne voit plus que Street SymphonyZaytoven ou la J.U.S.T.I.C.E League pour représenter une tribu (a)vide de concurrence. Un comble quand on sait que c'est sur ce créneau que Organized Noize a régné en maître toute la décennie précédente - tout ça, avant de disparaître en même temps que la poule aux oeufs d'or OutKast.

La J.U.S.T.I.C.E League, parlons-en justement: derrière cet alias sponsorisé par Marvel, on trouve trois cerveaux passés maîtres dans l'art de la confection de Cigar Music, et qui savent comment faire sonner un solo de guitare ou quelques notes de saxo par-dessus un sample follement 80's. Une musique laidback qui se savoure vêtu de son plus beau smoking blanc, un Behike dans le bec. Des chefs d'orchestre qui ont fait leurs preuves ces dernières années, particulièrement au service de ce bon vieux Rick Ross qui leur doit une seconde vie: celui qui aurait pu connaître une trajectoire à la Waka Flocka Flame se trouve aujourd'hui dans une position que Notorious B.I.G aurait sans doute pu occuper si il ne s'était pas pris le chou avec le West Coast. 

La richesse des productions du trio, on a toujours regretté qu'elle s'exprime un peu trop souvent pour l'écurie MMG. Et pour être complètement honnêtes, on aurait même adoré que la fine équipe de Tampa s'offre un album vide de collaborations vocales, comme Organized Noize a pu le faire avec le trop méconnu The Vinyl Room sous l'alias Sleepy's Theme. Mais puisque nos rêves les plus fous se réalisent rarement, c'est vers l'exercice de la compilation que l'équipe s'est tourné, histoire de rentabiliser les nombreuses heures passées en studio. 

A première vue, le constat est dans appel: J.U.S.T.I.C.E For All fait partie de ces disques un peu feignants, mais qui se mange sans faim vu que les Floridiens se contentent d'empiler les singles potentiels. On renoue ici avec les ingrédients qui ont fait le succès de disques comme Deeper Than Rap ou Teflon Don: cet équilibre parfait entre le clinquant et le grondant. Une carte de visite qui démontre (mais est-ce encore nécessaire?) tout le savoir-faire du trio, toujours capable de s'adapter à son interlocuteur du jour, que celui-ci s'appelle JeremihDrakeWaleT.IKevin GatesFuture, ou Lupe Fiasco. Et comme la débauche d'efforts ne se fait pas à sens unique, ces derniers ne sont pas avare en falsetti fragiles et en couplets carnassiers.

Puis les écoutes se succèdent et à l'arrivée, on se dit que cette petite récréation entre self-made men est bien plus solide qu'elle n'en a l'air: elle démontre malgré elle une jolie diversité, et aligne les cartons pleins. Après, on est ici dans le risque zéro. La ligue fait exactement ce qu'on attend d'elle, et doit avoir assez de matière sur ses disques durs pour continuer à nous alimenter. Et à vrai dire on aurait bien du mal à bouder notre plaisir. Parce que toute cette merde renferme suffisamment de virtuosité pour rendre Chris Brown intéressant, ou faire zouker ta meuf sur la signature vocale de noms qui la font d'ordinaire grimacer. Bordel, pour un peu ils changeraient l'eau en vin les cons!