Gigi's Recovery

The Murder Capital

Human Season Records – 2023
par Antoine G, le 1 février 2023
8

The Murder Capital a trouvé le meilleur moyen de ne pas être noyé parmi les groupes post-punk : arrêter d'en faire. Il faut dire que depuis que la formation irlandaise a publié son premier album début 2019, les choses sont allées à une vitesse hallucinante. Presque chaque semaine, un nouveau groupe émerge, dans une bousculade affolante. Également de Dublin, Fontaines D.C. a choisi de prendre de l'avance en enchaînant les albums, tout en se réinventant à chaque fois. La bande de James McGovern a quant à elle choisi la patience. Pari gagnant ?

S'il ne fallait juger que la qualité de l'album, la réponse est oui. Bien plus mûr, moins tape-à-l'oeil, sans perdre la fragilité et l'envie d'exploration qui faisaient de When I Have Fears un album très prometteur, ce Gigi's Recovery est exactement ce qu'il fallait au groupe pour faire sentir sa progression. Les musiciens ont énormément approfondi leur palette sonore, et on le sent à chaque titre. Il suffit d'écouter « The Stars Will Leave Their Stage », sans doute le plus réussi du disque, où chaque instrument explore une texture unique et cohérente.

Plus largement, on sent la volonté de s'éloigner de l'ambiance lugubre du premier disque pour proposer quelque chose de résolument optimiste. Ce n'est pas pour rien que l'excellent « Only Good Things » en était le premier single. Certes, le reste sonne toujours très tourmenté, mais globalement plus lumineux. Mais surtout, en creusant ses influences du côté de Radiohead et Alex G, la formation fait un pas de côté salvateur en dehors de la saturation post-punk (dans tous les sens du terme), pour explorer des sonorités plus claires, plus sophistiquées. Plus douces, aussi, quitte à aller vers la mélancolie (à l'image de « A Thousand Lives »).

Si le groupe a largement entamé ce processus en amont de l'enregistrement, nul doute que John Congleton a permis de le concrétiser. Formé auprès de Steve Albini et vu chez Moses Sumney, Wild Beasts ou même le crossover Sparks/Franz Ferdinand. Peut-être est-on baisés par ses débuts auprès d'Explosions In The Sky, mais on y retrouverait un côté post-rock de ce mélange d'exploration de sons et de sensibilité à fleur de peau, quitte à flirter avec le trop plein. Un exercice de funambule qui est ici superbement abouti, même si les titres les plus réussis peuvent en éclipser d'autres, comme « We Had To Disappear ».

Mais au global, il est clair que le groupe a pris le temps de chercher une identité propre, plutôt que d'être un éternel clone d'IDLES et Fontaines D.C. Une démarche plus que louable alors que ce genre de proposition commence à faire soupirer, même chez les plus clients. Malheureusement, il n'est pas exclu qu'en prenant son temps de la sorte, The Murder Capital peine à exister dans l'écosystème actuel. Qu'importe, au fond : en restant droit dans leurs bottes, les Irlandais nous font ressentir des émotions. Après tout, est-ce que quoi que ce soit d'autre a de l'importance ?

Le goût des autres :