Fünf

Various Artists

Ostgut Ton – 2010
par Simon, le 26 novembre 2010
8

Cinq ans déjà. Ou plutôt cinq ans à peine? Car à voir l'institution qu'est devenu Ostgut Ton, le modèle propagé par le label, on se dit que cinq années sont bien peu de choses à côté d'un tel tour de force. Mais Ostgut ton, en bon produit dérivé qu'il est, doit sa célébrité à l'image de marque collée à ses deux parents, qui ne sont rien d'autres que deux des meilleurs clubs berlinois : le Berghain et le Panorama Bar. Un label en forme de boîte de nuit donc, tous deux fidèles à une tradition techno vieille de vingt ans. Froide, impitoyable et jouissive, allemande en somme. Cela valait bien une compilation-anniversaire, elle s'appellera Fünf – sobriété oblige.

L'histoire de Fünf est scindée en deux étapes, chacune essentielle. Obsédé par la vie propre du club, Emika s'est d'abord donné deux mois pour constituer une bibliothèque de sons directement tirée du lieu une fois celui-ci vide. De l'enregistrement environnemental – du field recording pour être précis – qui avait pour but de dresser le portrait « à froid » d'un lieu pouvant vivre en toute autarcie. Et tout y passe, on y enregistre les stroboscopes, les chambres froides, les systèmes de ventilation, le métal de l'infrastructure. L'âme du club y a été saisie et mise en cage. Tout ce matériau brut – 4Go de capture sonore – formera la base dans laquelle piocheront vingt-trois producteurs affiliés de près ou de loin au label. Quand on sait que les piliers de la structure se nomment Marcel Dettmann, Ben Klock, Len Faki, Marcel Fengler, Nick Höppner, Planetary Assault Systems, Steffi ou Shed, on imagine sans mal cette froideur matérielle investie dans un contenu techno de très haute volée.

Le résultat est un crime de sang froid. Le double-disque s'approprie l'imaginaire berlinois, fait de béton et d'acier, et transcende dans une organisation glaciale. Les émotions qui filtrent sont celles des corps qui hurlent; tout ici est brutal, cru et sans pitié. Martelant sans cesse cet hybride techno/indus/dubstep, pensionnaires et invités (dont les essentiels Substance, Dinky ou Scuba) profitent d'une banque sonore rugueuse pour offrir une œuvre globale d'une cohérence qui fait peur. Unis pour retranscrire l'ambiance qui règne au Berghain/Panorama Bar, tous participent à faire de Fünf un brûlot ciblé. Et c'est peut-être là tout le génie de Fünf: apparaître indivisible comme l'est son clubbing, comme une démarche sonore indépendante de ses producteurs. Et cela se prolonge durant plus de deux heures, les vagues minimales éradiquant sans mal fatigue et lassitude, assurant un terrain de jeu inépuisable dans le contraste entre la chaleur du dub et la froideur des sons industriels.

Véritable travail de professionnel, à mi-chemin entre la classe du bourreau et la grâce de l'espion, Fünf finit de consacrer toute l'admiration qu'on porte à cette étiquette berlinoise, sincère dans sa manière d'amener le fidèle à la ville qui a vu naître le nihilisme de ses inspirations. Espérons que la hype n'ait pas raison de toutes ces bonnes intentions. Car Berlin en 2010, c'est Ostgut Ton. Et c'est indispensable.

Le goût des autres :
9 Thibaut