EX

Plastikman

Mute – 2014
par Simon, le 5 juillet 2014
4

Chroniquer ce qui devrait être le nouvel album de Plastikman en 2014 relève de l'exercice piège par excellence. L’enculé que je suis devrait se régaler à l’idée de se farcir, une fois de plus, un canard boiteux ayant le cul dans le buzz (James Blake et Burial ont toujours l’entrejambe comme le Canal de Suez, parait-il). Pourtant, cette fois-ci seulement, il n’y aura ni sang ni larmes, car le tranchant de la lame ne sortira pas du fourreau. Pas de cris, pas de larmes, juste une chronique en bon père de famille qui veille sur son lectorat. Parce que EX n’est ni bon ni mauvais. Au mieux, il est insignifiant - et c'est peut-être le plus insultant.

La scène se déroule le 6 novembre 2013, à New York. Richie Hawtin, invité par Raf Simons (designer ultra-respecté de la maison Christian Dior), pose son installation au Guggenheim pour ambiancer un gala de charité organisé par la marque de haute couture. Je vous demanderai de vous arrêter là, de relire cette dernière phrase, de vous arrêter à nouveau, et d’enchaîner sur la suite. Vous la sentez cette odeur puissante et poisseuse ? Vous avez raison, ça rappelle le souffre. Nous, on voit directement la mèche blonde jouer les dandys du bon goût (musical, social, vestimentaire et autres) entre des centaines de zombies de la mode, bouffant des zakouski végétariens dans une réception dont le coût équivaut (au bas mot) à quatre fois ton salaire annuel. Un événement de bourgeois cools qui pensaient que Richie Hawtin était le nom d’une station de métro de Tokyo, qui se verront proposer un show plutôt nul. Et que tous décriront sûrement comme un aboutissement du minimalisme techno.

Comme on avait promis de ne pas chier dans le ventilo, on se contentera de décrire EX comme une session techno fadasse, sans génie aucun et à la merci de techniques sonores éculées. Sorte de rejeton paresseux de Closer - disque qui, bien qu’étant excellent, montrait il y a déjà onze ans les limites du Richie Hawtin nouveau - cette performance live ne dispose d’aucune audace et fait tout reposer sur un son tech-house gonflé à l’hélium. Après un premier quart d’heure de vide intersidéral (quelques pouic-pouic acid et des resucées sans trajectoire), le Canadien balance une lame de fond affreusement compressée que n’aurait pas refusée un Paul Kalkbrenner s’il avait été plus digne. Prestation live oblige, le sound-design manque cruellement de profondeur, et le tout n’évoque rien. On se fait joliment chier à se prendre dans la gueule tous les clichés d’un Plastikman vidé de substance et enrobé dans du cellophane pour que rien n'ait de hauteur.

Peut-être plus que n'importe quel autre artiste, Plastikman a longtemps incarné cette véritable perfection techno, qui n’était que de la maîtrise technologique dominée par l’instinct. De la contrainte transfigurée. Cette relation extrêmement difficile a toujours vécu sur le fil de la lame, cristallisée par cette discographie impeccable (si bien qu’à part Autechre, Drexciya ou Jeff Mills, on ne lui connaît pas de rival véritable). Aujourd’hui le maître se fait bouffer par ses chiens, et des binoclards skinny à barbe poivre et sel sont chargés de jouer les magistrats, le tout dans une ambiance de merde. A l’époque, Hawtin avait l’habitude de jouer dans des écoles désaffectées de Détroit avec des blacks sans thunes. Aujourd’hui il se gave de toasts quinoa/caviar sur gorgées de Krug grande cuvée. Rien d’anormal, on se doit toujours de respecter la main qui nous nourrit. Tu fais tourner le pack de bières quand t’as fini ?