Ecorcha / Taillée

La Tène

Les Disques Bongo Joe – 2023
par Antoine G, le 12 avril 2023
8

Il y a des rencontres étonnantes et évidentes. Dans La Tène, il y a déjà ce projet de départ : on pourrait résumer l’idée à un échange entre Les Disques Bongo Joe et La Nòvia, deux formidables centres de l'expérimentation dans la musique traditionnelle. D’un côté deux genevois : le percussionniste Cyril Bondi, moitié de Cyril Cyril, et son acolyte Laurent Peter alias D’Incise. De l’autre cinq musiciens auvergnats, réunis autour du joueur de vièle à roue Alexis Degrenier, et vus chez France, Super Parquet oul  Tanz Main Herz. Bref, une dream team de la musique trad minimaliste et hypnotique, qui a déjà fait trois fois notre bonheur. Et ce quatrième album, après cinq ans de pause, est un encore plus grand ravissement.

Outre les musiciens réunis, La Tène pousse l’idée de rencontre en convoquant l’esprit de musiciens de tous horizons. Il y a des évidences, comme le Velvet Underground ou Can, pourquoi pas Godspeed You! Black Emperor pour le travail contrapuntique, voire directement La Monte Young. Et il y a les références amenées pour ce nouveau disque, composé, selon l’habitude, de deux morceaux. Pour le premier, un chant chrétien du Sud-Ouest de la France, « La passion de Jèsus Crist », collecté au XIXème siècle. Et pour le second la ligne de basse du « Saoko » de Rosalía. Deux points de départ dont la formation s’éloigne fortement, isolant à chaque fois un unique motif, étiré et répété jusqu’à la folie. Ces influences assumées font plutôt office de profession de foi : voilà les deux rives entre lesquelles La Tène bâtit un pont.

Mais ce pont ne ressemble qu’à eux : cet étonnant mélange est au service d’une réflexion collective sur le timbre, basée sur des harmonies enivrantes entre vièle à roue, harmonium et cornemuses. Ancrée dans son territoire (chaque titre renvoie à des lieux précis), cette musique est surtout ancrée dans la physicalité même du son produit. Tout y est enregistré live, sans overdub, dans une grange près de Clermont-Ferrand. En découle un pur plaisir du son collectif ; un lâcher-prise total qui se moque totalement de la fausse opposition entre tradition et modernité. Sans jamais abandonner leur motif de départ pendant respectivement 18 et 14 minutes, les deux titres évoluent en permanence, organiquement. Et l’écoute ne laisse pas d’autre choix que de s’installer dans ce groove et se laisser porter par les timbres.

Ce nouvel album est d’ailleurs probablement le plus accueillant du groupe. Le second titre en particulier, le plus court de tout leur répertoire, rappelle avec sa rythmique reggaeton (on rappelle que Rosalía en est le point de départ) l’implication purement physique d’une telle musique. Avec son côté plus ludique, ce titre invite l’auditeur peu habitué à ce type d’expérience. Ce qui pousse encore plus loin la dynamique de rencontre. Et on ne peut qu’inciter l’auditeur averti à s’imprégner du pouvoir énorme de la répétition. Toujours pareil, jamais la même chose : chaque boucle s’enfonce en nous, pour amener une transformation permanente. Qui opère aussi manifestement chez les musiciens.

Le goût des autres :