C'est à moi ça

Gwendoline

Born Bad Records – 2024
par thomas g, le 18 mars 2024
6

Olivier Razemon, journaliste et essayiste, a théorisé la mort des centres-villes de préfecture et sous-préfecture dans son ouvrage Comment la France a tué ses villes, argumentant que la faute revenait aux créations, souvent portées par la corruption locale, de zones commerciales en périphérie. Malheureusement, il n’a pas pu toucher, à ma connaissance, à une des conséquences culturelles les plus singulières de ce long déclin de la France périphérique : l’apparition d’un groupe d’hommes cyniques chantant leurs malheurs sur des synthés désaccordés.

C’est ainsi qu’après Ventre de Biche (Lyon/Strasbourg), TG Gondard (Bruxelles), les Clopes (Nantes), Rhume (Biarritz), Monsieur Crane (Bordeaux) et tous les groupes qu’on pourrait fourrer dans la Grande Triple Alliance Internationale de l’Est, Gwendoline est apparu dans le paysage musical, juste à la sortie du confinement. Originaire de Brest - ville de Miossec, Abstrackt Keal Agram et du festival Longueurs d’Ondes -, Gwendoline sort déjà son deuxième album, à peine deux ans après Après c’est gobelet !. Mais sacré glow up puisque C’est à moi ça sort sur Born Bad Records qui a su voir le potentiel commercial des deux hommes.

Les thèmes restent les mêmes : l’exotisme du périurbain, les vacances au camping, le quotidien clicheton du provincial qui veut se casser, l’alcoolisme dépressif… Pas forcément autobiographique car Gwendoline prône la licence poétique dans une interview à Libération et avoue écrire en se “mettant dans la peau de personnages” (j’en sais pas plus, je suis pas abonné à Libé). Ainsi sur « J’préfère », nos losers imaginaires comparent les bienfaits des pizzas, des kebabs, des clopes… pour culminer sur un climatique “je sais pas si t’embrasser ça me fait du bien ou du mal”. Malgré quelques grincements stylistiques, je leur souhaite néanmoins une longue carrière. Car heureusement, Gwendoline reste de gauche, puisque sur « Le sang de papa et maman », ils abordent, tels les Pinçon-Charlot avec un MicroKorg, la classe bourgeoise et sa reproduction sociale.

Pour se démarquer, Gwendoline ajoute une dimension plus classique du rock français : le talent. C'est-à-dire que la production est professionnelle, les instruments sont bien joués, tout est très bien mixé. Comme une minimal wave gentrifiée, même si les synthés chinés en brocante sont toujours là. Sur notre serveur discord, un utilisateur nommé MrMasure défendait leur positionnement contre mon scepticisme en admettant qu’il était rare de rencontrer une formation qui faisait “le trait d'union entre pop et punk de façon aussi fluide”. Exemple flagrant, le single « Rock 2000 » comporte plusieurs riffs mélodiques et pas moins de trois manières différentes de chanter (l’ambition est haute). De manière générale, Gwendoline n’a pas peur de composer des hymnes, comme « Merci la ville », meilleur morceau de l’album, prouvant plus d'une fois qu'on n’arrive pas sur la scène de Rock en Seine pour rien.

Le goût des autres :