Blood, Looms & Blooms

Leila

Warp – 2008
par Simon, le 16 juillet 2008
8

Leila a toujours été un personnage à part dans la galaxie des producteurs electronica, et plus encore, du monde musical en général. Découverte avec un premier album sur le très bon label Rephlex (dirigé de main de maître par Richard D. James), Leila Arab se déjouait déjà de toutes les conventions en matière d’electronica, si larges soient-elles. Un deuxième album à la distribution bien plus large (Courtesy of Choice) venait en 2000 terminer d’asseoir la réputation d’avant-gardiste intenable de cette Iranienne à l’imagination débordante. Huit ans plus tard, l’annonce d’un nouvel album sur l’incontournable label Warp constitue donc un véritable évènement, mêlant à la fois enthousiasme et inquiétude.

Connue pour son univers narratif exceptionnel, Leila s’emploie à nouveau à nous prendre par la main afin de parcourir ensemble les chemins qui nous séparent de son imaginaire fantasmagorique. Nous passons de pièces en pièces, offrant à nos oreilles des digressions trip-hop noisy, des hypothèses soul ravagée, des pianos classiques détournés qui nous immergent petit à petit dans un monde ou la folie est reine. Bienvenue au cabaret des fous, où les abominations les plus sordides côtoient les enfantillages les plus malsains : les clowns ayant fini leurs besogne se soulent au whisky dans la taverne du coin, pendant que de sombres rejetons jouent à se faire mal avec des objets contondants sous l’œil indifférent d’une foule de passage par là. Vous sortez, mais une fois le pied dehors les prostituées vous vendent déjà leurs charmes ternis par la maladie en vous soufflant à l’oreille quelques notes de blues alcoolisé dans un décor art déco décrépi. Le temps pour vous de les écarter d’un revers du bras, vous vous attelez soudain à observer la noirceur du ciel, qui se déforme sous les lueurs de ces quelques flammèches et autres guirlandes de mauvaise qualité.

En fermant les yeux, s’ouvre au travers du plafond de votre chambre une galaxie de couleurs qui se couvrent, se recoupent, s’excluent ou se font l’amour indistinctement. Une proximité d’apparences qui semble bien mal établie et que seul notre ingénieur du son peut ordonner de manière logique pour ne pas déranger cette agglutination de mécanismes surnaturels, du pantin qui danse comme un con depuis deux heures maintenant jusqu’à cette cantatrice d’opéra qui tente désespérément de se foutre cette maudite corde au cou sans jamais y parvenir. Notre belle sylphide, contre toute attente, salue tout ce beau monde en accordant une importance égale aux grands de cet univers baroque (surement le maire de la ville, convaincu que son sexe est un lasso au moment de commander un dernier verre, encore un) comme aux plus petits, chatouillant le détail pour le forcer à se donner en spectacle comme les autres. Tout est donc bien en place, chaque tranche de cette histoire rétro-futuriste se succédant avec une cohérence inespérée, à tel point qu’on en oublierait la musique elle-même.

Une étrangeté, me direz-vous de ce nouvel album. Rien de moins. Et c’est peut être la raison pour laquelle Leila est si précieuse, si incongrue qu’elle en redevient essentielle. Erasme ou Nietzsche avait très tôt théorisé l’importance de la folie et de l’enfance dans le comportement adulte, si raisonné soit-il : Leila n’en est que le prolongement le plus subtil, l’extension raisonnable d’un arrière-monde qui ne demande qu’à exploser, avec douceur. Sans plus d’hésitations, un grand disque.

Le goût des autres :
8 Nicolas 6 Julien