B.I.B.L.E.

Fivio Foreign

RichFish – 2022
par Ruben, le 16 mai 2022
4

Dans le rap, chaque nouvel album de Kanye West est un tremblement de terre qui déplace les plaques tectoniques du game comme peu d’artistes savent le faire. Au-delà de l’indéniable succès commercial et d’une approche artistique novatrice, chaque nouveau disque de Ye permet généralement de lancer la carrière internationale d’un·e nouvel artiste par la même occasion. En effet, son Life Of Pablo de 2016 nous a introduits à Desiigner, Ye a dévoilé les capacités vocales d’070 Shake au monde entier, tandis que Jesus Is King a permis à Ant Clemons de jouir d’une carrière fructueuse. Enfin, Donda a lancé un certain Fivio Foreign dans le grand bain. Fort de son intervention sur « Off The Grid », durant laquelle le MC new-yorkais décime complètement l’instru durant près de trois minutes, il se place alors comme l'une des étoiles montantes du rap US. Mais à l’été 2021, sa discographie est encore bien maigrichonne et, après le coup de pouce divin de Yeezus, tout le monde attend de pied ferme que le rappeur passe par l’incontournable case LP. Visiblement peu pressé, Fivio a attendu de longs mois. Est-ce parce que le timing est dicté par son producteur exécutif, qui n’est autre que Kanye en personne, et dont on connait l’extrême volatilité ? Ou est-ce parce que Fivio Foreign a besoin de temps pour peaufiner jusqu’à la perfection la tracklist ? C’est en tout cas ce qu’espéraient ces nombreux nouveaux fans. À tort.

Totalement décousue, la tracklist de B.I.B.L.E. est un enchainement de pistes stériles qui puisent leurs racines dans la drill, mais manquent cruellement de punch pour réellement captiver. L’instrumental de « Confidence » avec A$AP Rocky, qui avait tout pour devenir un « Off The Grid 2.0 », n’est qu’une version télétubbies du banger de Kanye West. De même pour « City Of Gods », qui n’est qu’une pâle copie du « Empire State Of Mind » de Jay-Z. Très souvent, les cadences et les rythmes sont fouillis et incompréhensibles ; les 808’s et kicks sont étrangement timées, presque à contre-temps, et dévaluent l’énergie de pistes comme « Slime Them » ou « Feel My Struggle ». Ensuite, force est de constater que Fivio Foreign n’a que peu d’alchimie avec ses (trop) nombreux invités, qui déboulent sans aucun but précis - jusqu'à définitivement nous perdre lorsque DJ Khaled intervient pour un interlude soi-disant spirituel. Si on rajoute à tout cela de nombreux choix douteux dans les samples, comme sur les insipides « Love Songs », « World Watching » ou « What’s My Name », la confusion est totale.

La disparition tragique de Pop Smoke aura laissé un immense vide dans le ciel new-yorkais – et ce ne sont pas les tentatives désespérées de son label qui aideront à faire perdurer son héritage. Depuis que l’interprète de « Dior » nous a quittés, la drill n’a jamais été aussi omniprésente dans le paysage du rap américain et, sans surprise, de nombreux clones de Pop Smoke ont essayé de prendre la couronne. Tous se sont cassé la figure en pleine ascension du trône, laissé vacant depuis cette tragique soirée du 19 février 2020. Fivio Foreign aurait, sans aucun doute, toutes les qualités requises pour prétendre au Graal ; néanmoins, son manque d’ambition sur B.I.B.L.E. l’handicape terriblement. Car après plusieurs écoutes, il ne reste de son projet qu’une poignée de pistes bâclées et fondamentalement inintéressantes, qui semblent avoir comme unique but d’ouvrir la porte du mainstream à son interprète. Une déception, et un faux-pas pour un MC qu’on sait capable de beaucoup mieux.