Attack on Memory

Cloud Nothings

Carpark Records – 2012
par Jeff, le 10 février 2012
9

Steve Albini serait-il un imposteur ? La question mérite d’être posée. Pour les moins jeunes de nos lecteurs, on vous rappelle que Steve Albini, c’est le mec qui a été aux manettes de pas mal de disques entrés bruyamment dans l’histoire du rock: le Surfer Rosa des Pixies, le In Utero de Nirvana ou le Rid of Me de PJ Harvey, c’est lui. A chaque fois, une recette qui cartonne : un son brut de décoffrage, vaguement chaotique, qui donne la légère impression que l’Américain a juste branché les micros de son studio et laissé le groupe faire le reste. C’est ce que les donzelles d’Electrelane m’avaient d’ailleurs expliqué lors d’une interview faisant suite à la sortie de leur excellent Axes, produit par Albini : ce dernier n’a rien d’un ayatollah de la console, au contraire.

Une impression confirmée par Dylan Baldi, tête pensant des Cloud Nothings, qui racontait récemment à Pitchfork que Steve Albini avait passé une bonne partie des sessions d’enregistrement à jouer au Scrabble sur Facebook. Forcément, vu sous cet angle, on va finir par croire que le mec est un bel arnaqueur. Suite à quoi on a réécouté les deux précédents albums des Cloud Nothings, autrement moins bandants que cet Attack On Memory ébouriffant. Et on comprend vite que derrière ce dilettantisme de façade se cache un ingénieur du son de génie, dont la recette semble difficilement explicable mais clairement redoutable. Car c’est une évidence, les Cloud Nothings ont déjà sorti l’un de ces albums de 2012. Point à la ligne.

Über-référencé années 90, Attack On Memory l'est certainement. Nirvana, Fugazi, Drive Like Jehu, les Foo Fighters et même un peu de Ash grande époque. On les retrouve tous (et bien d'autres encore) en filigrane de ces huit déflagrations lâchées par la troupe de Cleveland. Attack on Memory, c'est le genre d'album qui envoie suffisamment de gros bois pour vous chauffer tout le reste de l'hiver, qui pue l'urgence totale et mélange avec plus de subtilité qu'il n'y paraît énergie toute adolescente et écriture arrivée à maturation – avec, en prime, quelques véritables inflexions pop à la The Thermals pour plaire aux plus exigeants. D'ailleurs, histoire de nous éviter de longs débats, toute cette philosophie sonique est encapsulée dans les deux premiers titres de Attack On Memory. Ainsi, à un "No Future/No Past" pesant et emmené par la voix rauque de Dylan Baldi succède "Wasted Days", véritable décharge d'adrénaline qui fait durer le plaisir pendant 8 longues minutes régressives. A la fin de cette tirade grunge et gigantesque à bien des égards, c'est simple : vous aurez normalement revêtu une paire d'Airwalk, un Levi's 501 troué et une chemise à carreaux en flanelle.

Deux titres et 14 minutes pour un disque qui n'en fait que 34. On ne va pas vous mentir : à ce stade, l'affaire est déjà entendue. Et tout ce qui va suivre aura forcément un peu moins de saveur et de piquant. Mais "Fall In", "Stay Useless" ou "Separation" ne manquent pas de nous rappeller qu'on n'est pas ici confronté à un disque qui s'oubliera de sitôt. Et puis on pense aussi (et surtout) aux dégâts que devraient causer Attack On Memory sur scène, et pour le coup, on se dit que cette histoire a tout l'air d'une double peine. Et on se pose en victimes consentantes, petites salopes masos que nous sommes. Et on prend encore plus notre pied.

Le goût des autres :
8 Denis 7 Julien L