Asking For A Ride

White Reaper

Elektra – 2023
par Nico P, le 2 mars 2023
8

Dans un monde parfait, les Strokes ne seraient pas cette famille dysfonctionnelle avançant malgré ses envies et les tendances, mais bel et bien ce groupe qui, tous les deux à quatre ans maintiendrait en vie la flamme qu’ils ont fait naître il y a plus de deux décennies. Qu’on se le dise, malgré les tensions, les absences, le groupe de Julian Casablancas (et peut-être faudrait-il déjà que le journaliste cesse de le nommer ainsi) n’a jamais cessé d’être marqueur de son époque, à défaut d’en être encore le sculpteur. Un album des Strokes dit encore et toujours quelque chose de notre monde, quand bien même ces choses, on ne voudrait pas spécialement les entendre, encore moins les prononcer.

Seulement voilà, la couronne est à prendre. Sept années de silence discographique, ça laisse des traces, mais surtout, ça laisse de la place. Et ils sont nombreux les petits jeunes envieux et conquérants, déterminés et insouciants, à avoir un jour cru en leur bonne étoile. Cependant, aucun n’a jamais été aussi prêt du but que White Reaper. Ils nous viennent de Louisville, Kentucky (ce qui, de quelque façon qu’on le prononce, sonne tout à la fois suffisamment rock’n’roll et proprement stupide - ce que les chansons du groupe sont tour à tour, mais nous y reviendrons), ils sont cinq, il y a deux frères dedans (Nick Wilkerson et Sam Wilkerson), leur chanteur a une voix à la Johnny Rotten et donc à la Liam Gallagher, mais on entend aussi chez eux, tour à tour, du Weezer (sur leur troisième album, leur plus pop, également leur moins bon, ceci n’expliquant pas cela), du Metallica, du Oasis donc, mais aussi du Killers (ça c’est pour les stades). Asking for a Ride, leur quatrième album, est paru il y a quelques semaines.

Et le chemin parcouru, étonnamment, semble tout aussi bien long que court. Long car leur premier album, White Reaper Does It Again, a presque dix ans, et qu’à l’époque, il semblait presque évident que cette collection parfaite de chansons destinées à devenir immense, allait contribuer à les installer au sommet de la chaîne alimentaire, aller faire d’eux, donc, les Strokes d’une génération différente, tant ils partageaient avec Casablancas et sa bande (il faut vraiment arrêter de dire ça) : une voix trafiquée, des mélodies rageuses, des guitares à l’hygiène douteuse, une simplicité aussi belle qu’irritante, une furieuse envie de dire au monde que plus rien ne sera jamais comme avant. Leur deuxième disque, The World's Best American Band, plus poli, plus classe, plus Vegas que Louisville, avait confirmé nos espoirs, sans pour autant leur voir remettre les clés du royaume.

Asking for a Ride fait donc suite à You Deserve Love. Entre-temps, quatre années se sont écoulées, le plus grand écart entre deux disques du groupe. Normal, ils sont depuis signé sur une major, ils tournent bien davantage, et puis ils ont les moyens de leurs ambitions, peuvent donc souffler un petit peu. N’allons pas y voir la moindre forme de paresse, d’autant plus que ce disque, comme leur premier, est rugueux, immédiat, à l’os. Point de révolution ici (si ce n’est une guitare acoustique sur le single “Pages”), mais une envie de poursuivre sur la voie tracée, celle d’un rock volontairement régressif (difficile de ne pas succomber au charme de “Fog Machine”), mais aussi d’une pop FM grandiloquente et romantique (“Heaven Or Not”).

Certes, les mélodies sont moins bonnes qu’hier - et quand on dit hier, on parle de 2015. Certes, d’aucuns y verront un manque cruel d’ambition dans une époque qui ne saurait se contenter d’un groupe à guitares, d’un groupe dont le genre se satisfait d’une seule étiquette : rock’n’roll, sans ajout de type bedroom rock alt. Il y a quelque chose de profondément touchant à voir White Reaper ne jamais changer, coûte que coûte. De les voir ajouter une pierre à l’édifice d’une musique qui n’est plus guère commentée. White Reaper chante les filles, chante les rendez-vous manqués, la quotidien romantique et trop banal, White Reaper n’a aucun commentaire à offrir sur l’état de notre monde, White Reaper veut juste jouer vite, fort, idéalement devant une salle pleine à craquer, mais ils ne le feront pas avec moins d’envie et de conviction si la fosse se révèle timide. C’est touchant, c’est sublime même.

Le goût des autres :