Arabia Mountain
The Black Lips
Après leur dernier concert bruxellois, hilare et pintoché, le co-responsable d'un label wallon au catalogue pourtant pas des plus pertinents m'a donné la meilleure tagline possible pour parler des Black Lips : « des gros déconneurs mais des gros déconneurs capables de sortir à chaque album un disque digne de concurrencer les meilleures compilations Pebbles ». Il n'y a rien d'autre à ajouter, c'est la vérité crue, la quintessence d'un marketing malin, honnête et définitif : pour qui aime le garage-rock hurleur et décavé, le groupe d'Atlanta est en effet devenu aussi référentiel, indépassable et symbolique que la trentaine de ces volumes « d'original punk rock from the psychedelic sixties » sortis entre 1978 et 2007. Ces classiques, ces monuments.
Contrairement à la plupart des ancêtres obscurs et fiers de l'être repris sur ces disques, les Black Lips n'ont jamais caché chercher plutôt le succès de masse, voyant dans les White Stripes un groupe cousin, parti les pieds dans le bouillon pour finir superstar tout en gardant le cap d'un rock and roll plus ou moins pur. Avec pour la première fois de leur déjà longue carrière un producteur aux manettes – l'infâme Mark Ronson, qui plus est, il était donc à craindre qu'Arabia Mountain soit l'album du Big Sell Out, de la tentation mainstream définitivement assumée.
La toute bonne nouvelle, peut-être davantage pour nos oreilles que pour leur santé mentale, c'est qu'il n'en est rien. Avec ou sans Ronson, les Black Lips restent les Black Lips, soit une sacrée belle brochette de grosses gueunons. Ambiance pinpon, ça gueule toujours autant, entre doo wop rednecks patentés, punk de poivrots, pastiches sixties mongoliens (des Rolling Stones, notamment) et vraies chansons pop à l'évidence mélodique imparable mais au traitement tellement morveux que voilà pour elles dégommée toute chance de passer la journée en radio, entre Beyoncé et Florent Pagny, étape pourtant obligée pour qui veut gagner des millions.
La mauvaise nouvelle, c'est que bien qu'alignant son quota de tubes et de chansons pour rire de bon coeur, cet album s'avère au final l'un des moins entraînants du répertoire des Black Lips. Non pas qu'il soit plus sage, plus pute ou plus naze que les autres. En fait, il n'est pas le moins du monde différent des autres, toujours aussi copieux (16 chansons), braillard et court (une quarantaine de minutes). Il y a juste un peu plus de saxophone que d'habitude, mais du saxo soufflé dans une optique crapuleuse nettement plus vieille soul que Spandau Ballet, on se rassure.
Alors, quoi ? Alors, c'est évident : à ce train là, comme pour les compilations Pebbles, les Black Lips, ça peut continuer longtemps. Une qualité standard, des chansons qui tiennent du tour de cirque. Certaines meilleures que d'autres, certaines vite expédiées, aucune jamais franchement mauvaise, quelques unes flirtant même avec le véritable génie. Chez les Black Lips en 2011, le chef d'oeuvre est déjà loin derrière (Let it Bloom, en 2005), l'album le plus accessible aussi (Good Bad Not Evil, en 2007), persiste donc surtout l'impression d'une carrière rigolarde définitivement en mode croisière.
Craint comme l'album de la compromission, Arabia Mountain n'est pas pire, pas meilleur que ses prédécesseurs, pas franchement indispensable non plus. En fait, tout agréable qu'il soit, il confirme surtout que le groupe n'est pas un grand fignoleur d'album et que si les Black Lips doivent un jour accéder au mainstream, ce sera probablement avec leur premier best of. Il est vrai que si il aligne les "Modern Art" et "Family Tree" ici piochés en plus des "Bad Kids", "O Katrina", "Dirty Hands", "Hippie Hippie Hoorah", "Drugs", "Sea of Blasphemy" et autres "Buried Alive" déjà connus, ce coup de poker aura de quoi facilement enterrer pour de bon le meilleur Pebbles tout au fond du jukebox ! Et ce, que le grand public en veuille ou pas... Ils en sont là, les Black Lips. A la fois totalement énormes et totalement couillons.