1200 mètres en tout

Odezenne

Universeul – 2022
par Quentin, le 18 janvier 2022
7

C'est sans doute l'âge qui veut ça. Probablement l'époque aussi. Plus ils avancent, plus les membres d'Odezenne font partie "des gens qui doutent", pour reprendre ces mots si chers à Anne Sylvestre. Un positionnement salutaire dans une société qui glorifie les certitudes, une humilité qui fait tout le charme du (désormais) trio. Il serait tellement facile de le détester s'il était gonflé d'égo mais la simplicité de la démarche est la meilleure preuve de sa sincérité. Ainsi, disque après disque, Alix et Jaco balotent leur spleen joyeux. La forme a changé, la technicité et les figures de style des débuts ont laissé place à un parlé-chanté qui semble se réduire à ce qu'il y a de plus élémentaire. Au final, la destination reste la même, c'est la perception du paysage qui a changé. Parce que l'idée d'Odezenne n'est pas de regarder ailleurs mais de regarder autrement, de plus haut. À 1200 mètres.

Et pourtant de si loin, l'univers du groupe n'a jamais paru aussi accessible. Une fois de plus, l'universalité des thèmes abordés participe grandement à cette ouverture. Loin d'être moralisateurs ou complaisants, Alix et Jaco continuent le chemin entamé sur Au Baccara et développent une prose qui supprime toute distance avec l'auditeur·rice. Les deux comparses avancent sur un équilibre fragile qui se fait rare aujourd'hui. "J'ai appris malgré le temps, les mélodies du tourment" chante Jaco sur "Garnement". C'est une évidence de dire que la vie n'a épargné personne ces dernières années. C'est une autre évidence de dire qu'il n'existe de force sans faiblesse. La force d'Alix et Jaco est d'avoir accepté d'être faible et de comprendre que ce n'était pas négatif. Eux aussi ont connu leur lot de tristesse et on retrouve dans un bon nombre de titres comme une volonté de résilience face à aux épreuves qu'on affronte. Presque chaque morceau est un prétexte à se poser des questions, à accepter que si j'ose exprimer mes doutes à voix haute, peut-être que tu t'y retrouveras, peut-être qu'il y aura une solution à trouver ensemble. Un positionnement quasi humaniste qui trouve dans les instrus aériennes de Mattia la force de s'élever plutôt que celle de s'écrouler. De nombreux titres sont à souligner dans cet album et il serait dur d'en sortir un seul. Notre sensibilité nous amène pourtant à pencher pour "Une danse de mauvais goût", collaboration avec Mansfield TYA. au dessus de laquelle le voix de Julia Lanoë plane à des kilomètres de toute réalité.

On a longtemps pris Odezenne pour un groupe mélancolique, et on ne pense pas s'être complètement trompé. Mais cette vision est bien trop réductrice pour définir ce vers quoi Odezenne tend. En invitant le public à contribuer à la création de son œuvre par le biais d'écoutes et de réactions, il crée un processus participatif et inclusif qui brouille la frontière entre l'émetteur et le récepteur. C'est probablement cette ouverture sur un univers si personnel qui crée la sympathie et la fascination pour un groupe qui, au final, tente de sublimer le quotidien par des mots simples. "C'est de la vie, c'est de la gratuité" comme le rappelle le groupe sur "Caprice". La vie n'appartient à personne, pas plus à Odezenne qu'aux autres et pour une fois, ça fait du bien d'en souligner la beauté.

Le goût des autres :