Wie Is Guy?

Zwangere Guy

Top Notch – 2019
par Jeff, le 28 mars 2019
8

« Produit d’une vision, enfanté dans la douleur, Overlast est l’aboutissement d’une mutation du rap. Stikstof pose avec une virtuosité non assumée les bases d’une nouvelle esthétique. » Backpackerz

« Overlast n’a rien de l’épanchement aride et fastidieux d’artistes en pleine crise d’identité. C’est au contraire un album musicalement enlevé, foisonnant, mais surtout déconcertant à la première écoute. »
Abcdr du son

« Ce disque est parmi les plus vibrants et emblématiques témoignages de cette ère où tout semble pouvoir arriver, où les tracklists sont construites selon l’architecture des grands disques de l’histoire de la musique populaire, où chacun des nouveaux morceaux semble condamné à être le meilleur jamais réalisé, et ce jusqu’à ce qu’un nouveau soit publié. »
Les Inrocks

Je rassure d’emblée les rédacteurs des publications susmentionnées qui tomberaient sur ce papier : si ce sont bien leurs mots, ils ne concernaient pas le Overlast de Stikstof, mais bien le To Pimp a Butterfly de Kendrick Lamar. Pourtant, ceux qui ont écouté le disque des Bruxellois vous le diront : ces lauriers, ils les méritaient amplement. Car rarement la Belgique a accouché d'un disque aussi novateur, forward thinking et frais dans sa manière d'envisager un hip-hop en français qui se sclérose à force de se penser comme de la "pop urbaine". Forcément, en pondant un album (déjà, en 2018, on ne sort plus des albums, on sort des "projets") en avance sur son époque dans un marché où seuls les disques en langue française et anglaise ont droit de cité (alors que bon, franchement, qui comprend ce qui sort de la bouche de Quavo ou Niska), les quatre Bruxellois de Stikstof partaient avec quelques gros sacs de ciment attachés aux baskets. Résultat : malgré pas mal de louanges, un passage par Rock Werchter (et pas devant cinq fans hardcores, leurs potes et deux couillons qui passaient par là) et des sold out dans toutes les salles qui comptent à Bruxelles ou en Flandre, il reste un disque en forme de rendez-vous manqué, un truc que Light In The Attic rééditera probablement en 2056 en nous vendant ça comme un "classic that never was at a time when Belgian hip hop was all the rage."  

Pour être tout à fait honnête, on pensait qu'un sort similaire serait réservé à Zwangere Guy, le projet solo de Omar-G dans Stikstof. Pourtant, à la faveur d'un emballement médiatique inattendu et démentiel, Wie Is Guy? est bien parti pour être ce hold-up improbable qui nous réconcilie avec une économie du rap plus prévisible qu'un PSG - Angers. Déjà, le disque s'est imposé dans les charts néerlandophones quand on lui prédisait au mieux une chouette petite carrière dans les sphères indie cool de la capitale. Mais les semaines passent et on en vient à se demander si ce disque ne pourrait pas faire exploser le rideau de chicon, voire trouver son public dans l'Hexagone. Et cela tient principalement à la manière dont le dénommé Gorik Van Oudheusden a façonné puis laissé grandir son personnage : sur Zwangerschapsverlof vol. 3 en 2017, on avait fait la connaissance d'un MC qui envisageait ce passage par la case mixtape comme une chouette respiration old school et festive, entouré de gens qu'ils fréquentent assidument, mais qui n'ont pas leur mot à dire dans une entité Stikstof dont la force réside dans ce travail en vase clos, avare en collaborations et contributions externes. Au final, Omar-G a suffisamment trimballé son alias pour voir dans les retours du public une affection véritable pour son humour, sa générosité et sa capacité à sentir son époque pour créer une attente.

Dans les mois et les semaines qui ont précédé la sortie du disque, la machine s'est emballée grâce à une communication terriblement bien sentie, et révélatrice des ambitions de "Zet gee" : à deux reprises, l'album s'est teasé à travers des singles extrêmement forts, tant dans les idées qu'ils propageaient que dans les visuels qui servaient à les valoriser. Avec "Gorik Pt. 1" (titre sombre qui revient sur les violences conjugales dont sa mère a été victime) et "Guy - Funk" (single snoopdoggyesque calibré pour l'airplay en radio avec son hook de Selah Sue), on tenait déjà une déclaration d'intention à l'intention d'un public qui était loin de s'attendre à un tel coup de butoir : Wie Is Guy? sera à la hauteur de son titre, un questionnement permanent sur la personnalité d'un Gorik Van Oudheusden qui ne peut s'épanouir qu'en faisant cohabiter son personnage de trublion et des expériences personnelles traumatisantes.

Ce combat salutaire entre ombre et lumière permet  à Zwangere Guy d'accoucher d'un disque qui, à l'exception de l'une ou l'autre longueur, impressionne par sa capacité à allier variété et cohérence pour répondre à la question qu'il pose sur sa pochette. En une heure, on découvre une personnalité qui se rêve bigger than life, on se laisse séduire par des influences très bien digérées (il y a ici autant de Mobb Deep et de Nas que de ScHoolboy Q et de Tyler The Creator), on se laisse séduire par un artiste qui a une immense confiance en ses capacités, mais ne pourrait exister sans ses partners in crime (Peet du 77, Blu Samu, LeFto et quelques autres), et enfin on apprend à apprivoiser une personnalité qui se révèle beaucoup plus complexe qu'on ne l'imaginait. Actuellement pris dans un tourbillon médiatique encore inimaginable il y a un an, Zwangere Guy va devoir s'atteler à maitriser la bête féroce qui se débat en lui, à ne pas se faire déborder par les forces qui cohabitent dans ses tripes. Mais si ça venait à être le cas, il pourra toujours retrouver ses potes de Stikstof pour continuer de conjuguer le rap au futur. What a time to be alive.

Le goût des autres :