Radical Romantics

Fever Ray

Rabid Records – 2023
par Guigui, le 10 mars 2023
8

Lorsque fin 2022, deux nouveaux titres de Fever Ray débarquent sur les plateformes, curiosité et excitation sont les maîtres-mots chez les fans de Karin Dreijer. Curiosité car, avouons-le, depuis la mise sur pied du projet par la chanteuse du duo The Knife (dont elle partage la parentalité avec son frère Olof), la découverte de nouvelles compositions de la Suédoise s’apparente à une véritable plongée dans l’expérimentation à travers une electro-pop avant-gardiste, dense et chargée d’une espèce de somptueuse bizarrerie aussi bien sonore que visuelle. Excitation aussi, car l’invitation s'est moins faite attendre que pour Plunge, second disque sorti 9 ans après le premier album éponyme Fever Ray.

Radical Romantics ne pourra éviter la comparaison avec ses grands frères dans le sens où, avec une identité aussi affirmée et reconnaissable que celle de Fever Ray, le risque de redite n'est pas à exclure. Mais à l'image des discographies de Björk ou Arca, pour citer deux autres filles qui jouent dans la même division de l'étrange, ce dernier album porte bien la marque de la musicienne suédoise, mais ne ressemble en rien à ceux qui l'ont précédé. En effet, dès les premières notes de « What They Call Us », l’univers semble familier puisqu'on retrouve ces sonorités électroniques épurées et cette ambiance glauque rehaussée par un voix attaquant les graves. Ce titre introductif permet en réalité à l’auditeur de pousser la porte du manoir et de faire quelques pas dans le couloir l'amenant dans une immense cuisine où la maîtresse de maison utilise ses ingrédients habituels certes, mais les met au service d'une recette nouvelle - à ce titre, il est cocasse de constater qu'un titre du disque s'intitule « New Utensils ». Pour bien comprendre cette approche, il faut se plonger dans « Carbon Dioxide » : à lui seul, le titre illustre la philosophie de l’album qui consiste à installer l'auditeur dans une forme de confort familier pour mieux le prendre à contre-pied et de proposer des allers-retours entre pop rythmée et morceaux plus aérés.

Si Karin Dreijer retrouve à nouveau son frangin Olof pour la composition et la production, on notera également dans l’entourage de la musicienne la présence d’un autre duo culte, formé par Trent Reznor et Atticus Ross (Nine Inch Nails, How To Destroy Angels). Cette association, en plus de nous mettre quelques étoiles dans les yeux vu les états de service de nos deux Américains, résonne comme une évidence tant les univers froids et le goût prononcé pour les machines de tout ce petit monde devaient finir par se rencontrer. Malgré sa radicalité et son minimalisme évidents, Radical Romantics trouve sa richesse dans l'audace d'une proposition qui saura capter l’oreille dans fans historiques, mais aussi de toutes celles et ceux qui écoutent de la musique pour se faire bousculer. Expérimentale mais finalement très accessible, la musique de Fever Ray prend une fois encore des formes multiples, convoque les superlatifs de tout poil et prend un malin plaisir à nous installer dans une forme de plaisir parfois incomfortable, proposant une expérience qui nous fait passer par des multiples états. Bref, Fever Ray propose quelque chose d'"autre", et dans une industrie qui voit d'un bon œil le formatage, son œuvre est précieuse, son travail indispensable.

Le goût des autres :