Plunge

Fever Ray

Rabid Records – 2017
par Yann, le 10 novembre 2017
7

En général, se prononcer sur le statut "culte" d'un artiste est casse-gueule s'il n'est pas encore mort. On ne prendra pas trop de risque, pourtant, à placer The Knife (et par exenstion Fever Ray) dans cette catégorie: production rare, deux albums vénérés (Silent Shout pour The Knife, et l'album éponyme Fever Ray), une popularité relativement réduite par un refus de jouer le jeu de l'industrie et une image un peu cryptique font de la formation scandinave la candidate parfaite au titre.

Avec ce deuxième album, Karin Dreijer ne va pas nous contredire. L'artiste continue d'imprimer sa marque de fabrique. Pourtant, Plunge se démarque de ses précédentes productions, et il faut aller au-delà d'écoutes superficielles pour le réaliser. Là où Fever Ray était avant tout un album de recherche spirituelle, ce deuxième LP se concentre sur la recherche du plaisir et d'une forme bien matérielle du bonheur. Est-ce que ce contexte joue vraiment un rôle dans la musique produite sur ce nouvel album? Disons, pour prendre un exemple plus concret, que si la musique de Fever Ray était un banquet de petit déjeuner, celui de son premier album se serait tenu en lisière d'un bois avant une journée de méditation transcendentale alors que son second a lieu au petit matin sur la piste de danse d'un club échangiste. Dans les deux cas, le banquet est probablement végétarien et avec des aliments à faible teneur en sucre et un thé choisi pour ses propriétés anti-oxydantes. Mais les convives n'auront malgré tout pas l'impression de manger la même chose. Pire, le banquet auquel nous convie Plunge pourra leur sembler moins raffiné. La nourriture n'y est pas une prélude à une élévation spirituelle. Le moment ne vante pas notre bon goût, ne vise pas à nous inclure dans une communauté "supérieure", au-delà des mondanités de ce bas-monde. Bien au contraire, ici, le seul sens à trouver, c'est tomber amoureux, baiser et donc fonder une famille. Quoi de plus banal.

Heureusement, ces sujets sont abordés avec une verve qu'on ne connaissait pas à Karin Dreijer. Entre les "This country makes it hard to fuck" de "This Country" et les "I want to run my finger up your pussy" du single "To The Moon And Back", le discours sexuel est frontal, et toujours mêlé de politique. Musicalement aussi, l'album explore des contrées plus bourrines. Que ce soit les distorsions dans "Wanna Sip", le beat simpliste et rapide de "IDK About You" ou le côté putassier du single évoqué plus haut, une oreille distraite pourrait facilement confondre certains morceaux de Plunge avec un inédit de Die Antwoord. Pour ceux qui recherchent la sérénité du premier album, il faudra plutôt se tourner vers l'excellent "Mustn't Hurry" et son ouverture qui rappelle que derrière les élucubrations sonores, il y a un vrai talent d'écriture musicale. 

Le dilemne auquel un artiste culte doit faire face, c'est qu'il est en réalité bien plus simple pour lui de ne rien faire pour ne pas porter atteinte à sa propre réputation, quitte à devenir un "truc de vieux". Ce n'est pas le choix de Karin Dreijer, qui après avoir déçu certains fans de The Knife avec un Shaking the Habitual très politique et un peu abscons, prend également des risques sur Plunge. Avec plus de succès grâce à des morceaux bien écrits et une production musicale à la hauteur de la réputation à défendre. Pourtant, il y a peu de doute que le jour où on voudra faire écouter le travail de Fever Ray à notre descendance, ce sera vers le premier album qu'on se tournera.