OG SAN II

Deen Burbigo

Saboteur – 2023
par Yoofat, le 13 juillet 2023
7

On ne va pas se mentir : quand Deen Burbigo a sorti Grand Cru en 2017, on a tous un peu pensé à Feu, autre album d'un MC du collectif L'Entourage ayant trouvé, pensait-on alors, la formule magique pour faire du bif sans trop vendre son âme à Pascal Negre. A posteriori, le premier album solo de Nekfeu demeure agréable même si les ficelles que notre esprit juvénile peinait à voir paraissent aujourd'hui énormes. L'album rookie de Deen est plus perturbant ; Nekfeu a en lui le caractère pop et léger pour incarner "On verra", Deen quant à lui, ne se ressemble pas vraiment quand il fait "Pas une autre".

Ce qu'on a apprécié chez le natif de Marseille dès ses premiers Rap Contenders, c'est la manière avec laquelle sa voix grave et son attitude de patron précoce se mariaient pour envoyer du style avec élégance et cruauté, sorte d'oxymore nous rappelant à ce bon vieux Booba. Longtemps, Deen a cherché à diversifier sa palette en ajoutant des mélodies pop à son arsenal, ou à complexifier certains morceaux en leur prêtant un thème trop lourd à porter. Ces tentatives, jamais catastrophiques, ont toutefois pu nous laisser sur notre faim, comme un épisode de Vinland Saga placé sous le signe de la non-violence. 

Depuis Cercle Vertueux en 2020, Deen Burbigo est sur un tout autre run. En arrêtant de s'ouvrir à d'autres couleurs musicales, il a su se reconstruire artistiquement grâce au rap et rien qu'au rap. Un BPM lent, des beats sombres jouant davantage sur les nuances que sur un univers versicolore, et une assurance de MC New-Yorkais des 90's... Ce Deen Burbigo ressemble désormais bien plus à Alpha Wann qu'à Nekfeu, à ceci près qu'à l'instar de l'auteur des Étoiles Vagabondes, OG-San tient lui aussi à rapper sa fascination pour le Japon.

"Oji-san" en Japonais veut dire "vieil homme" et depuis que Deen a ce look poivre sel qui lui sied à merveille, c'est également son surnom. Seulement, puisqu'il tient également de l'Amérique clinquante des gangsters des années 2000, le OG de Original Gangsta a remplacé l'orthographe japonaise. C'est aussi une manière pour l'un de ceux ayant proclamé que sa génération marquerait l'âge d'or du rap français de montrer que le temps est passé et que d'une certaine manière, il ne lui a pas donné tort. 

Son côté OG, Deen Burbigo le puise dans son rap et dans des inspirations spécifiques. Ces rappeurs, on les cite de plus en plus fréquemment comme les figures de l'indépendance et du hustle : Curren$y, Master PRick Ross ou bien sûr Nipsey Hussle. Ces rappeurs partagent plusieurs qualités : la qualité de leur musique qu'ils veulent sans concession, des contrats sur mesure obtenus de haute lutte dans les bureaux des majors, et un discours sur l'indépendance qui pourrait rendre l'URSAFF sexy. 

C'est particulièrement sur ce dernier point que Deen Burbigo est performant. Sa musique parle d'argent sans doute mieux que celle de n'importe quel MC en France, même celle d'hispanophones fans de Johnny (vous l'avez ?). Avec la maturité, son discours est devenu plus pertinent encore, tout en embrassant un sens de la formule plus limpide et joueur que jamais. Les rimes de Deen Burbigo ont cette qualité de Motivational Music, cette musique qui donne envie de se dépenser plus, de dépenser moins et de penser business plan. Comme Busta Flex, Deen considère le rap comme un job et n'est pas avare en bons conseils lorsqu'il s'agit de parler monnaie. Avec l'âge, l'idée est de penser à fonder une famille et de lui faire atteindre un certain confort - sur "Coquillages" on peut l'entendre dire "Un jour, on va être des pères de foyer / Faut les mettre bien, faut les mettre carré / J'mets pas mes thunes dans des centimètres cubes / J'préfère les mettre dans des mètres carrés". En termes de rimes, Deen insiste encore et toujours sur la polysémie de chaque mot et trouve pléthores de punchlines incisives en usant de ce stratagème ("La vie avec un grand V, les Cartier avec un grand C / Avant qu'on soit tous fiche S, faut engranger vitesse grand V" sur "Okinawa")

OG SAN II nous invite, comme les derniers projets du rappeur, à valoriser les deniers sans pour autant croire que c'est la panacée. "On veut juste être plus à l'aise mais l'argent ne rend pas libre, il rajoute d'la longueur sur la laisse". À mi-chemin entre la culture américaine et la culture japonaise, Deen Burbigo ne saurait être un capitaliste taré à la Meek Mill. L'argent, c'est bien, mais la dignité humaine et le respect d'autrui, c'est tout de même mieux. Son rap n'a pas qu'un regard sur son compte en banque, au contraire, il a toujours eu un avis à donner sur divers sujets sociétaux le touchant de près ou de loin. Du racisme systémique, aux révoltes sociales en passant par l'adoption d'enfants pour les parents trans, Deen et sa sagesse de vieillard donnent leur avis sur tout ce qui les intéressent avec une honnêteté et une sagesse relative, comme Tortue Géniale ou Jiraya.

À l'instar de plusieurs de ses confrères de L'Entourage tels que Jazzy Bazz ou Alpha Wann, Deen Burbigo observe l'ascension d'un monde dégénérescent où les plus riches ont fait de l'Eden un Enfer. La sublime pochette peinte par Lossapardo traduit l'idée de ce groupe fascinant qui, face à l'horreur de ce monde, n'a que des rimes à proposer pour obtenir un semblant de paix matérielle et morale. "Il faut cultiver son jardin", disait Voltaire, et le crew parisien s'y attèle depuis plus de dix ans maintenant, semant ses graines dans le mince espoir de faire fleurir des jours meilleurs.  

Le goût des autres :