Crisis of Representation

Gábor Lázár

Shelter Press – 2017
par Simon, le 24 janvier 2017
8

Le monde se sépare en deux catégories : ceux qui ont vu la série The Wire et les autres. Et pour les premiers, il n'y a pas plus chanceux que les deuxièmes. Tout simplement parce qu'une fois qu'on s'est envoyé les cinq saisons du show de HBO, le retour en arrière est tout simplement impossible. Toute œuvre fictive qui implique drogue en milieu urbain, travail policier et fresque sociale est immédiatement analysée à la lumière du chef d’œuvre de David Simon. Et rien ne semble pouvoir rivaliser avec les histoires de Stringer Bell, Avon Barksdale, Bunk ou Jimmy McNulty. C'est comme ça, c'est devenu une échelle de comparaison (presque) communément admise.

Si on vous parle de cela, c'est parce que la nouvelle œuvre de Gábor Lázár finira toujours par souffrir dudit syndrome The Wire. Et pourtant, quoi qu'on puisse dire au cours des prochains paragraphes, Crisis of Representation est un disque tout bonnement inattaquable. Mais voilà, le Hongrois a probablement vécu trop près de ses idoles, intégrant leurs codes musicaux jusqu'à se fondre totalement en eux. Si on appréciera toute la valeur d'une collaboration avec la légende du noise digital Russell Haswell, c'est véritablement l'album réalisé en commun avec Mark Fell qui semble être le véritable point de non-retour pour notre ami Gábor. Avec The Neurobiology of Moral Decision Making sorti en avril 2015, le Hongrois a décidé de coucher avec son père spirituel, de peaufiner un art à la fois totalement génial en même temps totalement emprunté. Mark Fell, le monstre qui est à l'origine d'une nouvelle manière de jouer la post-techno, le glitch et l'IDM en solo ou avec son alter ego de toujours, Mat Steel. C’est d’ailleurs en duo – au-delà de son impeccable trilogie sur Editions Mego terminée avec Sentielle Objectif Actualité – que Mark Fell semble avoir définitivement marqué Gábor Lázár. C’est d’ailleurs le cœur de notre explication.

Le Atavism de SND est une entreprise totale et demeure encore, sept ans plus tard (punaise, ça ne nous rajeunit pas), l’une des œuvres les plus abouties et les plus novatrices du catalogue Raster Noton, si ce n’est pas de l’ensemble de la scène post-techno/glitch. Un disque si puissant qu’on voyait déjà le duo de Sheffield enterrer un autre duo, Autechre, qui les avait débauchés pour ouvrir la tournée défendant le faible Quaristice - les deux d’Autechre ont depuis eu le temps de prouver qu’il leur en restait pas mal sous la pédale.

Tout cela pour dire que Crisis of Representation est véritablement brillant de son click’n’cut presque funky, de ses attaques de claviers courts et cuttés, hybride fantastique dans sa manière de voguer entre techno-dub de l’enfer et post-rave qui brûle le cerveau. Comme Atavism avant lui, ce disque prône le mindfuck évolutif, celui qui rend notre esprit complètement con, toujours perdu dans cette incessante explosion de clicks, de cuts, de claviers et de beats multi-directionnels. Comme Atavism avant lui, ce disque ne commet aucune erreur.

Vous l’aurez compris, si vous n’avez jamais écouté Atavism, il est absolument certain que Crisis of Representation va vous plier comme un panini. Pour les autres, et bien le panini sera délicieux, même si son goût aura forcément quelque chose de déjà vu. La reproduction est parfaite, tout comme son complexe modèle l’était sept ans auparavant. On aurait juste aimé que Gábor Lázár saisisse sa chance spontanément, comme il a pu le faire çà et là dans l’album (« Crisis of Representation 2 », « Crisis of Representation 7 » ou « Crisis of Representation 9 »). Bref, un vrai coup de force malgré une relative crise d’identité.