Confessions

Philippe Katerine

Cinq7 / Wagram Music – 2019
par Émile, le 13 novembre 2019
8

Qui, il y a quinze ans, aurait pu imaginer que Philippe Katerine serait destiné à une telle carrière ? Qui pouvait deviner que cet hurluberlu, légèrement underground et complètement dadaïste, qui poussait des chansonnettes à mi-chemin entre Serge Gainsbourg et Boby Lapointe, pourrait un jour se balader en slip dans un éventail esthétique aussi large tout en conservant une identité aussi forte ? Son dernier disque, Confessions, est la marque d’un type à la trajectoire aussi improbable que réussie, et dont on ne comprend pas pourquoi il n’est pas encore la personnalité préférée des Français.

Ce dernier disque de Katerine, il faut l’avouer, c’est le disque d’une certaine hype. On ne sait pas ce qu’il en sera au niveau des ventes et du streaming, mais tout en conservant le même look et la même écriture, il faut bien comprendre que Katerine a complètement changé de posture ces derniers mois. Rappelez-vous à quel point le public était choqué en le voyant débarquer sur Planète Rap avec Lomepal, qui avait tenté un énorme truc sur le coup. Et alors qu’on le voyait disparaître de ce groupe à la sortie du studio, il a récidivé : avec le même Lomepal d’abord, puis dans le fameux featuring avec Alkpote. Et en prenant le disque dans ce sens – bien que cela reste un disque de Katerine –, on est sur quelque chose d’exceptionnel dans l’histoire du mélange des genres. Plus encore, cette souplesse que seul le bon Philippe possède, c’est celle qui vient assouplir tout le monde autour de lui.

Bien qu’on ait apprécié le voir jouer (un peu) au rappeur sur Skyrock, on comprend avec ce disque que c’est moins lui qui a changé que les autres qui se transforment à son contact. Et le single « 88 % » en est la plus belle preuve : le type vient non pas s’insérer dans le rap game, mais le renouveler de l’intérieur. Alors certes, Lomepal, Di-Meh et Alkpote, ce n’est pas Booba et Koba La D, mais ça reste un univers bien masculiniste, avec des bonhommes qui sont entre bonhommes et se parlent comme des bonhommes. Et le voir pousser Alkpote à conjuguer les insultes sur les mères et l’amour qu’on leur porte, ou voir Lomepal transcender son rôle de rappeur à minettes pour parler du problème d’homophobie et de virilisme, et ben c’est très fort. Tout le monde veut jouer le jeu de Katerine, et ça se ressent complètement sur Confessions : de Gérard Depardieu à Dominique A, de Chilly Gonzales à Camille, on prend plaisir à redécouvrir des artistes parfois sclérosés dans l’assouplissement que Katerine provoque en eux. Parce qu’il fonctionne avec les autres comme l’ouverture d’un safe space, dans lequel l’ironie profonde et la tendresse font office de programme musical.

Comme son nom l’indique, Confessions, comme d’habitude avec Katerine, est un lieu dans lequel on parle simplement et ouvertement. Certains retiendront peut-être uniquement la liste des noms qu’il donne à sa bite, qui reste fait avec une certaine ferveur et un vrai talent pour l’équilibre dans l’écriture, mais il y a tellement plus sur ce disque : avec la question du racisme dans « Blond » , celle posée par l’histoire féministe dans « KesKesséKçetruc », son rapport à la célébrité et à l’amour dans le sublime « Aimez-moi », la jolie réflexion sur le featuring qui devient une réflexion sociale dans « Duo », l’album est profondément riche.

Et c’est le plus important, car effectivement, en dehors de superbes trouvailles comme sur « La converse avec vous », certaines productions manquent de folie, et s’il a probablement su apprécier avec justesse l’évolution du hip-hop étant donné l’aspect trap de beaucoup de chansons, il n’est pas certain que le disque soit au niveau d’autres albums comme Philippe Katerine ou Robots Après Tout. D’une manière générale, le disque est long, et on sent qu'il a été difficile de concilier tout ce qu'il voulait dire et une certaine cohérence. On pense notamment au titre avec Oxmo Puccino, qui n’est pas au niveau du reste.

Capable d’attirer vers lui celles et ceux qui ne le connaissaient pas à chaque disque, Katerine est probablement l’artiste français qui a su le mieux évoluer tout en gardant ce quelque chose d’inimitable et de régulier dont on a du mal à se lasser. On va l’oser : Confessions a de quoi devenir le nouveau Robots Après Tout, qui avait lié Katerine à une certaine French Touch et un mouvement électronique en vogue à l’époque, en alliant la maturité de sa musique avec cette capacité unique d’être curieux de tout. Lui, sa sexualité, ses amis, sa famille, les autres, la vie et la mort, c’est à nouveau un univers qui est interrogé sans zone d’ombre et dans une simplicité inspirante.

Le goût des autres :