Absent Friends Vol. III

Minor Science

Balmat – 2023
par Aurélien, le 19 octobre 2023
8

Certains disques ont une saveur particulière au moment où ils sortent, comme si le corps qui recevait la musique agissait comme une caisse de résonance. Pour d'autres, la bataille semble perdue d’avance : quand Absent Friends Vol. III est apparu début septembre, il a dû se frayer un chemin entre beaucoup d’autres belles et grosses sorties qu’on ne citera pas ici. Double peine, il doit désormais exister dans une actualité extra-musicale complexe.

Mais, et c’est là que le miracle opère, Absent Friends Vol. III est parvenu à résonner plus fort que nombre d’autres disques sortis au même moment. Et ça ne peut pas être un hasard : à l'image d'un Skee Mask, Minor Science est un magicien capable de se réapproprier cinquante années de grammaire électronique pour nous emmener sur des territoires inédits. Scientifique obsédé par futur, Angus Finlayson a démontré son aisance à investir certaines terres vierges de l'espace électronique, comme en témoigne son Second Language en 2020, un élégant grand huit qui empruntait autant à Oneohtrix Point Never qu'à Koreless et Aphex Twin.

Au rollercoaster de son album précédent, Absent Friends Vol. III oppose une impression de promenade dans un labyrinthe de backrooms, des motifs qui s’étirent ou se contractent au fil des titres et de leur construction. C’est d’ailleurs assez sidérant de constater combien ce disque donne l’impression d’imposer un pouls irrégulier, loin des four to the floor linéaires. Comme s’il essayait ici de créer quelque chose de plus humain, organique et forcément imparfait. Tout du long du disque, la musique de Finlayson semble mettre un point d’honneur à échapper à son côté robotique pour lui préférer des rythmiques fantômes parcourues de coups de tonnerres bienvenus, notamment en fin de disque. En essayant de ne pas trop en révéler ici, on peut dire que tout est d’une beauté et d’une humanité folles, qu’on y parle trance autant qu’on y parle ambient. Et que le voyage s'apparente à des promenades dans des cathédrales de synthé autrement plus engageantes que le métavers imaginé par n’importe quel nabab de la Silicon Valley.

Journal intime d’un nouveau genre, Absent Friends Vol. III proposé une expérience singulière. Fort heureusement, l'ensemble demeure suffisamment universel pour que n’importe qui puisse ajouter à cette formidable fresque des petits bouts de soi, des touches d’espoir et des notes de détresse. Derrière cette cascade de synthétiseurs et de field recordings qui semblent parler au futur autant qu’au présent, à l’humain autant qu'à la machine, on décèle partout les contours de ce qui est en réalité un des plus beaux moments de musique de cette année 2023. Une véritable lueur d’optimisme dans un horizon rongé des légendes à base de futurs dystopiques et de robots musiciens.