Interview

Tamar Aphek

par Nikolaï, le 29 septembre 2021

Tamar Aphek n’est pas une nouvelle venue dans la famille du rock indé. Elle foule les scènes internationales depuis bien longtemps, ayant officié dans plusieurs groupes - citons pour bonne mesure le duo Carusella qui faisait autant de bruit qu’un avion Rafale franchissant le mur du son. En début d’année, l’artiste israélienne a sorti ce qui s’avère être son premier album solo. All Bets Are Off est tout droit dans la tradition groovy des 70’s, avec ses touches de jazz, de blues et de rock psychédélique. Sauf que la compositrice-interprète-guitariste sonne résolument moderne et n'hésite pas à aller voir du côté expérimental pour si l'herbe est plus verte. 

GMD : La joie d'avoir sorti All Bets Are Off était-elle plus grande que la frustration de ne pas avoir pu jouer l’album en live pendant un très long moment ?

TA : Eh bien, je revenais tout juste d'une tournée européenne quand la pandémie a commencé. Au cours des deux dernières années, j'ai eu des tonnes de dates en Europe et aux États-Unis. Du coup, ça a été une opportunité pour moi de me concentrer sur l'aspect commercial de la sortie. Ça incluait beaucoup de relations publiques et la préparation de sessions acoustiques pour les chansons de l'album à la demande de différents magazines et radios. Je me suis retrouvée à faire ces sessions sous forme de musique de chambre avec un joueur de hautbois et de violoncelle. J’ai vraiment passé un excellent moment à me concentrer sur de nouvelles versions de titres que j’avais déjà enregistré. J’ai aussi utilisé mon temps libre à produire mon premier clip pour “Russian Winter”. C’était fascinant de pouvoir combiner plusieurs éléments artistiques en plus de la musique, surtout l'aspect animation.

GMD : Tu as enregistré l'album dans le studio du label Daptone. New-York est vraiment un endroit magique pour les personnes amoureuses de la musique ?

TA : Daptone Records est vraiment un endroit magique, c’est certain. Ce label est connu pour ses enregistrements funk et soul et pour l'utilisation de techniques d'enregistrements d'antan. Je me souviens avoir lu une interview de Gabriel Roth - l'ingénieur du son et le co-fondateur du label – parlant de l'enregistrement de la batterie pour les sessions de “Back to Black” d’Amy Winehouse. Il disait qu'il préférait passer deux semaines à chercher le bon endroit pour mettre l’unique microphone que d'installer deux douzaines de micros et d'essayer de les équilibrer. Je savais que j'avais le même sentiment sur la façon dont je voulais enregistrer mon disque. Je préférais tourner avec mon groupe pendant deux mois à travers l'Europe et les États-Unis et enregistrer au maximum une prise pour chaque chanson en studio, plutôt que de faire une douzaine de prises pour trouver la bonne.

GMD : Tu as participé activement au mixage de l'album ? Ou tu as laissé Daniel Schlett opérer sa magie ?

TA : Après avoir enregistré l'album, j'ai commencé à le mixer moi-même. Je l’ai édité en utilisant les pistes comme de nouvelles couches. J'ai réalisé que les morceaux que j'avais enregistré pouvaient aussi être considérés comme des samples. Alors j'ai commencé à m’amuser. Je coupais un peu de basse par-ci et un peu de batterie par-là, je dupliquais et déplaçais le tout au début d’une chanson ; comme je l'ai fait dans “Russian Winter”. Résultat : au moment des sessions de mixage avec Daniel, je connaissais mon album de fond en comble. Il était donc en fait facile pour moi de laisser Daniel opérer sa magie et de lui donner les clés pour avoir sa propre interprétation du disque. Il a un style très spécifique et je savais qu’il pouvait donner vie à ma vision.

GMD : Tu peux m’en dire plus sur le groupe t'accompagnant, le bassiste Or Dromi et le batteur David Gorensteyn ?

TA : David et Or sont des musiciens incroyables mais ils n'ont pas joué sur All Bets Are Off. L'album est une combinaison de deux sessions d'enregistrement que j'ai produite avec deux sections rythmiques différentes. J'ai rencontré David et Or après l'enregistrement de l'album. Quand je travaille avec des musiciens, j'ai l'impression que le processus ressemble au rôle d'un réalisateur créant un film. Nous entrons tous dans ce genre de « jeu de rôle ». Il est très important pour moi que les artistes qui jouent avec moi brillent sur scène, et je suis profondément impliquée dans leurs parties musicales. Il faut dire que j’ai choisi des personnes très talentueuses, ça aide !

GMD : Ils t'ont aidé à créer une musique plus riche mélodiquement ? Avec moins d'emphase sur la formule "guitar hero" ?

TA : Mon concept avec ce disque n'était définitivement pas basé sur la formule "guitar hero". Je voulais qu’il ressemble plus à un film, en combinant différents types de chansons, de rythmes et d’atmosphères. J’aime insuffler de nouveaux genres et de nouvelles techniques à mon travail. Par exemple, j’écoutais énormément de jazz pendant l’enregistrement d’All Bets Are Off. Cela a influencé la production, notamment en ce qui concerne l’improvisation. Je dirais que l'album est une lettre d'amour adressée rock mais il est écrit à partir de différents genres comme le jazz, la musique classique, l’électro et plus encore.

GMD : Le surnom de "déesse de la guitare israélienne" te dérange ?

TA : Parfois, ça m’amuse. Mais c’est aussi un fardeau d’essayer d'être à la hauteur du niveau que l’on attend de moi !

GMD : Tu penses que ce sont les enseignements du conservatoire de musique qui t’ont aidé à créer ton son ?

TA : Mon éducation classique m'a certainement aidé dans de nombreux domaines, tels que la discipline et les différentes techniques de travail, mais je n'inclurais pas la création de mon propre son comme l'un d'entre eux. Je pense que mon éducation classique m'a davantage aidé à développer mon style et mes capacités d'arrangements musicaux.

GMD : All Bets Are Off fait penser au blues touareg. Tu es inspirée par la musique africaine ?

TA : Oui, définitivement ! C’est beaucoup plus facile aujourd’hui d’écouter de la musique issue de différentes parties du monde. Je suis imprégnée de nombreux groupes africains. J’ai commencé par écouter Fela Kuti et de là, je me suis dirigé vers King Sunny Adé et différentes compilations comme Éthiopiques qui mettaient en vedette la musique éthiopienne des années 1960 aux années 2000. J’écoute aussi beaucoup de jazz avant-gardiste s’inspirant de cette musique : Ornette Coleman, Max Roach, Archie Shepp

GMD : J’ai lu que tu étais restée un moment à Paris. Tu peux m’en dire plus sur ta relation avec cette ville ?

TA : Ma mère est une diplomate à la retraite qui a travaillé à Paris pendant près de six ans. J'avais l'habitude de lui rendre visite très souvent et je suis tombé amoureuse de la ville. Je me souviens encore de la façon dont nous nous promenions à Pigalle, avec tous ces magasins de guitares vintage. Je suis d’ailleurs venue à Paris pour finir le travail sur mon EP, mais les enregistrements ont été fait au Portugal.

Tamar Aphek sera le 28/11 au Bota (Bruxelles), le 2/12 à l'Ouvre-Boîte (Beauvais) et le 4/12 aux Transmusicales de Rennes.