Interview

Boko Yout

par Benoît, le 25 novembre 2025

De The Knife à Refused en passant par Yung Lean, la capacité de la Suède a exporter de véritables phénomènes ne s'est jamais démentie, ce qui en fait un acteur majeur de la musique contemporaine malgré une population à peine inférieure à celle de la Belgique. Dernière claque en date à nous venir de Suède, Boko Yout débarque avec une piquante tambouille "afro-grunge" à base de Viagra Boys (groupe avec qui il a tourné), d'Odd Future et de Bloc Party. À l’occasion du Pitchfork Avant-Garde à Paris, nous avons eu la chance de nous entretenir avec le charismatique chanteur Paul Adamah

Stockholm est une ville assez silencieuse comparé à Paris. Tu penses que ce calme, cette atmosphère favorisent la création musicale ?

Paul : Oui, totalement. L’hiver suédois, avec son froid et sa noirceur, pousse les gens à se réfugier à l’intérieur, dans leurs studios, pour créer. C’est comme un cycle : l’été, on en profite ; l’hiver, on écoute et on produit.

Ton éveil musical s’est-il fait à Stockholm ?

En fait, je viens d’une plus petite ville appelée Örebro. J’ai déménagé à Stockholm il y a environ sept ans. Mon “réveil musical” a eu lieu avant, dans ma chambre, en jouant à Guitar Hero. Mais Stockholm m’a permis de rencontrer les membres de mon groupe et d’autres artistes. C’est probablement la meilleure ville de Suède pour la créativité aujourd’hui.

J’ai vu que tu avais réalisé un clip pour COBRAH. Quelle place occupent les images dans ta musique ? 

Pour moi, l’image est aussi importante que la musique. Les visuels ajoutent une autre couche à la vision de l’artiste. J’aime regarder de belles choses, de l’art. Les clips permettent d’élargir ton univers. J’en ai fait plusieurs avant. J’étais dans un collectif hip-hop et je faisais des clips de rap, avec beaucoup de montage. C’est marrant que cela ait abouti sur ce clip avec COBRAH.

Tu faisais donc du rap ?

Oui, à l’époque sous le nom de Khan-Ji.

Et le passage du rap à ton style actuel, que tu appelles Afro-grunge, comment s’est-il fait ?

C’était un moyen de transformer la poésie que j’écrivais en musique. J’ai appris à jouer de la basse, à écrire en anglais, à chanter. Après une longue pause sans créer, c’est une nouvelle phase d’expérimentation pour moi.

Il y a eu un moment difficile entre ces deux périodes ?

Oui, j’étais assez déprimé, je fumais beaucoup, je faisais surtout du graphisme et de la photo. J’apprenais, mais c’était une période un peu stupide de ma vie.

Ta musique reflète ces thèmes de la santé mentale. Est-ce qu’elle est directement liée à ta vie ?

Oui, entièrement. C’est une façon de traiter mes émotions. Chaque morceau raconte quelque chose de réel, du quotidien, du ressenti, de la frustration.

Et le fait de travailler avec un groupe, ça change ton processus créatif ?

Oui, énormément. Pendant longtemps, je pensais devoir tout faire tout seul. Mais c’est tellement plus gratifiant de collaborer. Les idées circulent plus vite, chacun apporte quelque chose. Je fais confiance à mon équipe, et c’est rare.

Ton titre 9-2-5 parle de la pression du travail “classique”. Quelle est ta vision du monde du travail ?

J’ai longtemps comparé ma vie d’artiste à celle de mes amis qui ont un emploi stable. J’avais l’impression de ne pas être “productif” comme eux. Mais cette idée qu’il faut toujours “travailler, travailler, travailler”, même en dormant, est toxique. C’est parti d’une blague en tournée, une phrase qu’on entonnait constamment, et c’est devenu une chanson.

Tu sembles aborder des thèmes sociaux puissants, dans la lignée de groupes suédois engagés comme Viagra Boys...

Oui, mais ma musique parle surtout de l’expérience noire, de ma perspective. Ce n’est pas un discours politique global, c’est plus personnel : qu’est-ce que j’aurais aimé voir en tant que jeune noir en Suède ? Qu’est-ce que j’aimerais que d’autres jeunes voient et s’approprient ?

Tu dirais que la Suède est raciste ?

Pas vraiment raciste, plutôt élitiste. C’est une société qui se veut inclusive, mais seulement si tu corresponds à certaines cases. Dès que tu sors du moule, on te considère comme “trop”. Les minorités le ressentent plus fortement.

Créer, c’est donc ta manière de revendiquer cette différence ?

Oui, c’est une façon d’accepter ma confusion, d’avoir grandi entre plusieurs cultures, avec des visions opposées sur la religion, la masculinité, l’identité… Mon art, c’est plus une documentation de ce que je ressens qu’un manifeste.

Et comment vois-tu l’avenir du groupe ?

J’espère qu’on continuera à voyager, à jouer dans de nouvelles villes, à faire de la bonne musique, et à en vivre pleinement. Si je réécoute cette interview dans quelques années, j’aimerais être fier et heureux de notre parcours.