Tranquilizer

Oneohtrix Point Never

Warp Records – 2025
par Côme, le 23 décembre 2025
8

La carrière de Daniel Lopatin tient de l'aberration, la phrase suivante ne comportant aucune fausse information : "un des créateurs de la vaporwave écrit pour The Weeknd et sort du merch porté par Emily Ratajkowski". En une grosse décennie, celui qu'on positionnait plutôt du côté d'Emeralds et du revival kosmische musik a réussi à pénétrer une certaine forme de mainstream, désormais confortablement installé chez Warp entre deux crédits comme executive producer pour un des plus gros noms de la pop moderne et des B.O. pour la crème du cinéma faussement indé. Et ses disques récents de ressembler à une forme popifiée de musique pour installations avec juste ce qu'il faut de branchouille. Enfin, jusqu'à l'annonce de ce nouveau disque. Les premiers singles de Tranquilizer faisaient en effet directement référence à Replica, vrai grand disque de la "musique internet" principalement composé à partir de samples de publicités des années 80. Le matériau de Tranquilizer est du même type, issu d'une sorte de caverne d'Ali Baba de CD de bibliothèques de samples des années 90, supprimée par les ayants-droits puis restaurée par quelques archivistes.

N'y allons pas par 4 chemins, Tranquilizer est aux premiers abords un pur disque d'IDM/electronica de cette période, du Warp noyau dur, qui aurait potentiellement pu avoir sa place dans la mythique série Artificial Intelligence. Loin des digressions pop de Magic Oneohtrix Point Never ou Age Of, Tranquilizer fait la part belle à l'electronica canal historique, celle qui fleurerait bon les milliers d'euros investis dans des synthétiseurs vintage si on ne connaissait la passion de Daniel Lopatin pour les VST et les logiciels de modification sonore. Beaucoup d'IDM donc mais pas que, tant OPN investit ici un autre champ qu'il affectionne, celui de la musique new age. C'est toute la clique des instruments du genre qui est ici convoquée, y compris la trompette et le xylophone, au point de finir son disque sur un élan de saxophone jazz-fusion et quelques tablas sur "Waterfalls" dans ce qui sonne presque comme un beau clin d'oeil à Harold Budd.

Là où la comparaison avec Replica pouvait être immédiate, Tranquilizer n'a finalement pas grand chose à voir avec son grand frère. Si les samples sur lequel il est basé sont certes plus "fonctionnels", plus immédiatement musicaux que les références cathodiques de Replica, le musicien américain brouille complètement les pistes sur l'origine du matériau originel. Et à une échelle plus macroscopique, c'est tout le disque qui refuse régulièrement l'identification, évoluant quelque part entre l'electronica pur jus, l'ambient new-age, ou le jazz passé à la moulinette lopatinienne comme sur "Modern Lust".

Si Tranquilizer n'est pas Replica, il reste bel et bien un disque d'OPN. On saluerait presque sa volonté de régulièrement se prendre les pieds dans le tapis, lui qui décide de déverser ses arpèges trance dans des bruits statiques sur "D.I.S" ou fout en l'air ses ambitions ambient au bout de 2 minutes sur "Rodl Glide", morceau particulièrement mal construit qui nous rappelle qu'on est définitivement sur un disque de Daniel Lopatin. Mais qu'importe, ce onzième album est une des plus belles lettres d'amour à cet Internet pré-enshittification, celui rempli de sous-cultures incroyables, de webdesign artisanal option animations foireuses, et de sites web imparfaits que l'IA reste incapable de re-créer.