Tha Carter 6

Lil Wayne

Young Money/Republic Records – 2025
par Simon, le 12 juillet 2025
3

La série Tha Carter, un peu à l'image des Fast & Furious, est un signe du temps qui passe. Après des débuts qui ont mal vieilli depuis, la série connaît ensuite son pic avant une second moitiée de règne fanée comme un corps usé qui se refuse à accepter cette dure réalité : on ne peut pas être et avoir été. Ingrat, violent à sa manière, ce temps-là mange tout comme le sable dévore les villages sans que rien ne puisse vraiment l'arrêter. Nous étions en juin 2008, et rien ne pouvait concurrencer la fraîcheur de cet été : le troisième volet de la série Tha Carter venait juste de sortir, suivant la cadence de ventes surhumaine du Thriller de Michael Jackson sur ses premières semaines, propulsant de manière un peu inattendue un Lil Wayne de son statut de prince d'Atlanta à celui de superstar mondiale un peu décadente.

Ce rêve américain-là avait en lui quelque chose d'un peu cartoonesque : les tatouages faciaux débarquaient et avaient ce petit quelque chose d'interdit, les liasses comptées sur des machines à billets nous semblaient encore subversives. Le onze septembre avait déjà tout changé mais cette Amérique-là avait tout en elle pour raviver la flamme de l'entertainment roi, la mentalité Show Must Go On suffisait encore à faire oublier que tout ça ne tournait déjà plus très rond. Même Georges Bush Jr. nous donnait l'impression d'être un enculé, mais un enculé finalement rigolo par rapport à ce qui a suivi.

Nous sommes en 2025, et rien de tout cela ne peut nous faire rire. La figure du rappeur américain, ses excès et même son existence dérange. Il fait tache, lui, ses considérations matérielles et la plupart des conneries qu'il peut raconter. Même pris au cinquième degré, cette Amérique et son rap font gerber. Alors, que peut bien nous raconter en 2025 un Lil Wayne complètement cramé, célébrant une série devenue médiocre il y a presque 15 ans déjà ? Et bien c'est pire qu'horrible, même si pour le coup on y a presque cru.

Tha Carter 3 cristallisait le meilleur de productions flinguées et chaque fois visionnaires, un flow toujours prêt à muter et une écriture qui alliait finesse, humour et découpage laser. Sur les six premiers titres de ce Tha Carter 6, Weezy fait incroyablement bien illusion, alignant son début d'album sur celui de son chef d'œuvre. Comme s'il savait que rien ne pouvait exister en dehors de ce disque où tout était parfait, il ouvre sur quelque chose de véritablement chatoyant et cigar music dans l'esprit, reconvertissant sa force vocale comme un numéro 10 qui se replace dans le jeu pour compenser un physique vieillissant par un positionnement parfait (« Welcome To Tha Carter »), alterne les bangers sur infrabasses massives (« Bells »), les sérénades mélo-soul un poil gênantes mais ultra efficaces (« Sharks ») et le rétrofuturisme 100% ATL qui avait fait son succès sur les volumes 1 et 2 (« Hip-Hop »).

Puis arrive ce septième titre absolument indigne d'un Lil Wayne, même épuisé. Il s'agit d'un featuring avec Bono, lui-même fatigué. A partir de là, tout fout le camp. Tout est affreusement pop, usant, sirupeux mais le genre de sirupeux qui donne mal au bide parce qu'il est impossible d'en voir la fin. Il n'a même pas ce mérite d'être trop gras, trop outrancier, trop dans la démonstration de clichés puants mais qu'on aurait pu apprécier par mauvais goût de l’extrémisme. Peu importe l'angle d'attaque, Tha Carter 6 est insuffisant, mal pensé : encore trop street pour draguer le fond marin des normies abrutis de pop mainstream et trop éloigné de standards hip hop un peu sérieux pour faire bander, ne serait-ce qu'un peu mou, les O.G. de la première heure.

Tha Carter 6 se contente d'être là : américain, usé jusqu'à la corde et opportuniste. Un disque affreusement long pour être sûr qu'à défaut d'inspirer, il puisse rapporter. Un disque de son époque, médiocre comme un certain rap en bout de course, qui n'a même plus la force de posséder ses concepts d'un autre temps, en étant par contre totalement possédé par eux. Quant à Lil Wayne, il est un artiste totalement déboussolé, comme un enfant dans le coin qui continue à se croire drôle, à faire le pitre avec ses dents de diamants, ses voitures qu'il ne sait même pas conduire, accroché comme une huître à son rocher, qui refuse de laisser sa place dans un monde qui a changé parce qu'il ne sait plus faire autre chose que d'être sa propre caricature. Une parodie minable, qui lui ressemble pourtant tant. Le roi devenu bouffon de la cour, célèbre mais ridicule, chantant à la demande pour l'amour dévorant de quelques pièces. Cette vieillesse-là est un naufrage, à l'image d'un certain monde qui prend toujours trop son temps pour disparaître. Vivement la décennie prochaine, qu'on soit enfin débarrassé de lui et de tout ce qu'il a pu représenter ces quinze dernières années.