Record
Keroué
Avant d’être une histoire de talent pur, le rap est essentiellement une histoire d’ego et de confiance en soi. Et s’il y en a bien un qui n’a jamais vraiment donné l’impression d’avoir ces deux caractéristiques pour carburant, c’est Keroué. Attention, il n’en est pas dénué, mais il n’en a jamais fait un argument marketing ou une force motrice visible. Non, depuis qu’il est apparu sur les radars avec Fixpen Sill puis 5 Majeur avant de poursuivre en solo, le Quimpérois a plutôt donné l’impression d’être de passage dans ce rap jeu, ou de considérer cette activité comme accessoire à son épanouissement personnel. Une attitude qui pourrait passer pour du dilettantisme, alors qu’il faut plutôt y voir une vraie modestie et une envie de grandir dans le rap à son rythme, entouré d’un cercle restreint de collaborateurs et d’une petite communauté de fans bienveillants qui ont vite compris que celui-là n’était pas venu pour parader sur tapis rouge des Flammes ou enquiller les certifications Spotify. Bref, on n’attend jamais vraiment un nouveau projet de Keroué avec impatience, mais le plaisir de le retrouver est à chaque fois immense, et Record ne fait pas exception à cette règle.
Et si à peine plus d'une année nous sépare d’un mini-album intégralement pensé avec JeanJass (qui revient faire coucou avec Caba le temps d’un « Balles réelles » qu’il produit et qui ressemble à une chute de studio des ZushiBoyz), Record laisse rapidement apparaître un Keroué nouveau, qui a mis à jour son logiciel et repensé sa façon d’exister dans le rap et d’y laisser sa trace. Fini d’être ce MC un peu trop timide, pas toujours convaincu de sa valeur réelle : le Keroué de 2025 prend beaucoup plus de place qu’avant, tente des choses avec une assurance qu’on ne lui connaissait pas (le 2step de la collab orelsaneque avec Wallace Cleaver), n’hésite pas à se frotter à certains des meilleurs découpeurs du moment (OK, personne ne peut battre Jungle Jack, mais la résistance est belle), et parvient à passer de l’egotrip à la confession intime sans que ça flingue totalement la narration d’un disque qui arrive à faire de sa diversité une force. Plus globalement, on sent sur Record un respect immense pour l’album en tant que concept total et global, pensé avec un début, une fin et un milieu ; mais aussi comme le moyen ultime pour un artiste de prouver sa réelle valeur - et celle de Keroué a souvent été sous-estimée. Alors oui, ce n’est peut-être pas un meilleur ouvrier de France, mais c’est un sacré bon artisan. Le premier jour du reste de sa carrière, clairement.