Hyperyouth

Joey Valence & Brae

RCA – 2025
par Erwann, le 10 septembre 2025
7

No Hands de Joey Valence & Brae a failli être mon AOTY 2024. Failli, car cette jeune fille de l'Essex a tout fait pour que personne ne puisse lui ravir la pole position. Ceci étant dit, le duo américain a été une véritable révélation, le genre de choc rafraîchissant dont nous avons tous besoin au moins une fois par an pour nous rappeler pourquoi nous continuons à chercher cette foutue perle rare. Leur énergie débordante, portée par des flows endiablés et des sonorités électroniques, ne cherchait pas à réinventer la roue — ils étaient trop occupés à y foutre le feu.

Avec Hyperyouth, leur premier album sorti en major, cette philosophie axée sur les good vibes reste intacte, mais l'album se distingue de ses prédécesseurs en élargissant la palette d'influences. Celle des Beastie Boys, qui a façonné leurs premiers travaux, est désormais moins perceptible. Certes, les précédents albums flirtaient déjà avec la house et le punk hardcore, mais l'ombre des Beastie Boys était trop présente pour être ignorée. Ici, cette référence est remplacée par une base Miami bass forcément généreuse dans l'effort et riche en basses qui vrombissent. Autour de ce noyau, le duo ajoute des touches de ratchet, de cloud rap et même de fidget house à la Hudson Mohawke, et des samples qui font le grand écart qui va de Skrillex à Afrika Bambaataa. Et oui, sur Hyperyouth, ça fonctionne.

Les bangers rap teintés de synthétiseurs comme "WASSUP" avec JPEGMAFIA frappent avec l'immédiateté juvénile qui est devenue la signature de Joey Valence et Brae. Au fil de l'album, le ton change cependant avec des morceaux comme "IS THIS LOVE", qui reprend le flow conversationnel et la franchise émotionnelle de The Streets. Dans le même esprit, "HAVE TO CRY" transforme un sample de Bobby Caldwell en un rare moment de vulnérabilité. Ces morceaux plus contemplatifs impriment un vrai sentiment de rupture par rapport aux recettes habituelles, et démontrent une réelle volonté d'élargir leur palette sonore. Ce n'est pas toujours réussi, c'est parfois maladroit, mais lorsqu'ils trouvent le bon équilibre, comme sur le touchant "LIVE RIGHT", on entrevoit un duo prêt à dépasser le stade anal.

Hyperyouth reste  avant tout un divertissement léger : deux jeunes qui rappent sur des beats sur lesquels ils aimeraient faire la teuf. Derrière le chaos (organisé) se cache néanmoins une prise de conscience : la fête ne durera pas - une réalité douloureuse quand on passe la vingtaine. Cette tension entre l'hédonisme insouciant et l'âge adulte qui s'installe progressivement est précisément ce qui donne à cet album sa dimension générationnelle. Pour les zoomers, il s'agit peut-être simplement de "musique club existentielle", mais pour les millenials, elle évoquera quelque chose de plus profond : la nostalgie d'une époque où faire la fête était la seule chose qui comptait.Hyperyouth prouve alors que l’hédonisme peut devenir un signe des temps : une façon d’affronter l’anxiété et l’incertitude à travers la fête. Ce n’est pas seulement une esthétique propre à une ère saturée de memes et de fake news, mais une réaction à ce climat désabusé : la fête comme échappatoire, comme refus de se laisser enfermer par la noirceur. Et si Joey Valence & Brae peuvent nous faire sentir à nouveau comme des ados débiles, c'est plus qu'un simple plaisir coupable : c'est la preuve que leur musique a une importance réelle.

Le goût des autres :