Butterfly 3001

King Gizzard & The Wizard Lizard

KGLW – 2022
par Émile, le 11 février 2022
8

Ils nous ont piégés. Et bien comme il faut. Avec des discours sur la quantité d’albums, sur la quantité de lives, on a cru que King Gizzard & The Lizard Wizard était non pas une étoile en formation, mais un genre de pulsar - bruyant, saisissant, incontrôlable. Et ceci dit, qu’auraient-ils pu bien faire d’autre ? Que feraient les années 2020 d’un excellent groupe de rock ? Alors plutôt que de faire valoir leur musique en sachant qu’on ne saurait pas l’apprécier comme il se doit, ils ont préféré jouer le jeu de la surenchère, seul espace médiatique qui semblait habitable à une époque qui n’est peut-être pas la leur, à moins de se cantonner au rôle en clair-obscur qu’occupent les groupes de post-punk britanniques.

Parce que plus je regarde le documentaire de Peter Jackson sur les Beatles, plus je pense à King Gizzard. Et plus je vois McCartney et Lennon créer des mélodies, travailler leurs arrangements, plus je retrouve la précision et la minutie avec laquelle les Australiens font fonctionner leur créativité. En célébrant le mariage du travail acharné et de la progression qualitative – qui n’est pas réservée à la musique pop, coucou Schubert – ils ont accompli quelque chose en quoi on ne croyait pas vraiment au début. Puis les albums passent, la diversité étonne, et on est bien obligé de se rendre à l’évidence.

L’avantage de Butterfly 3001, c’est qu’il permet de percevoir l’écho de la grande claque collective que tout le monde se prend depuis quelques années. Perturbant l’espace-temps, elle unifie dans cette vérité simple et évidente : en fait, tout le monde écoute King Gizzard ; en fait, tout le monde adore King Gizzard. À l’annonce de cet album de remixes, difficile de savoir à quoi s’attendre réellement, mais à l’arrivée, facile d’entrer en plein delirium. VRIL, Dj Shadow, Kaitlyn Aurelia Smith, Peaches, Dam-FunK, Flaming Lips, Geneva Jacuzzi et autres Mall Grab : tout le monde est de la partie. On n’aurait pas été étonné de savoir que tout le monde écoutait Lady Gaga, Kendrick Lamar ou Adele, mais à une époque où le rock’n’roll ne met plus en orbite les autres genres, parvenir à rassembler autant est une prouesse qui donne envie de croire que quand le talent est là, il est peut-être impossible de passer à côté – même si notre dossier de rééditions In Dust We Trust prouve souvent le contraire.

Alors, qu’est-ce qu’on y trouve dans ce Butterfly 3001 ? 21 titres, 1h54 de musique, remixant de manière plus ou moins lointaine les titres de Butterfly 3000, un disque déjà extrêmement qualitatif en termes de samples à reprendre. Dès sa sortie, on pouvait d’ailleurs imaginer que certain·es allaient se ruer sur le riff de « Blue Morpho » - la preuve, ils sont cinq artistes à avoir choisi de remixer ce titre, et c'est VRIL qui s'en tire le mieux. Ce qu’on peut dire en tout cas, c’est que loin d’être une foire à la saucisse du remix, Butterfly 3001 est un hommage permanent à la richesse des inspirations et créations du groupe. Tous les titres du disque méritent d’y figurer car ils font un véritable rework de samples, de morceaux de voix, de mélodies, qui cherchent à conserver efficacement l’ADN du titre original. On comprend alors que lorsque Dj Shadow écoute « Black Hot Soup », il y entende du trip-hop – quel titre, mais quel titre – et que lorsque les Flaming Lips écoutent « Ya Love », ils y retrouvent toute la simplicité d’un pop-rock ultra mélodique.

Avec Butterfly 3000, King Gizzard n'a pas seulement permis à chacun·e de retrouver la manifestation de son propre rapport à la musique, le groupe a offert un disque assez cohérent pour que cette cohérence se retrouve sur Butterfly 3001 (on pense notamment à la place qu’occupe « Shangaï » sur les deux disques). Alors, en lieu et place de remixes qui enrichissent le paysage sonore, mais brouillent les pistes des genres et de leurs origines, Butterfly 3001 éclaire le numéro précédent de toute sa lumière, comme un miroir nous permettant d’encore mieux comprendre à quel point tout y est si bien. Et puis, parce que même s’il y a des longueurs et que tous les remixes ne sont pas très intéressants, Fred P a transformé King Gizzard & The Lizard Wizard en un groupe de balearic house, et c’est absolument merveilleux.